FRÈRE LÉVIS
(Roger Fortier - 1921- 1990)
(Roger Fortier - 1921- 1990)
Mes contacts personnels avec le frère Lévis ont été beaucoup moins nombreux et beaucoup moins significatifs que ceux que j’ai eus avec le frère Uldéric à qui j’ai déjà rendu hommage dans ces pages. Contrairement au vieux sage -qui n’avait pourtant pas cinquante ans lorsque je l’ai connu- qui avait éveillé en moi l’amour de la langue française et qui, quelques années plus tard, m’avait fait entrevoir tout le plaisir que je trouverais dans l’apprentissage des langues étrangères, le frère Lévis ne m’a jamais enseigné, ni ne m’a jamais conseillé de faire quoi que ce soit.
La très grande influence qu’il a eue sur moi et l’admiration que j’ai toujours inconsciemment nourrie envers lui tiennent au fait qu’il était un être des plus attachants dont on ne pouvait ignorer le dynamisme, l’entregent naturel, la très grande ouverture d’esprit et la prodigieuse intelligence dont les dieux l’avaient doté.
Cet homme à la taille physique quelque peu inférieure à la moyenne était d’une stature intellectuelle et morale peu commune. Il semblait inapte à l’insuccès et possédait toutes les vertus d’une pile dix mille volts instantanément rechargeable. Son sourire perpétuel et son rire communicatif –bien que parfois quelque peu trop bruyant- nous démontraient qu’il avait développé une intolérance chronique à l’ennui. Et il faisait en sorte que cette allergie fût contagieuse et vînt infecter positivement tous ceux et celles avec qui il entrait en contact. Et ce joyeux troubadour était au comble du bonheur quand il faisait rire les autres, ce qui ne manquait pas de se produire très souvent.
Ce fut au début des années cinquante que je fis sa connaissance. Il avait été assigné au Mont-Sacré-Cœur pour la période des vacances et il passait le plus clair de son temps au piano à répéter les nombreuses pièces de musique que le frère Julien avait mises au programme des divers concerts dont les juvénistes étaient heureux de faire les frais durant les vacances d’été.
Pendant les récréations, il venait nous tenir compagnie et se plaisait à nous raconter une foule d’anecdotes et de blagues dont la plupart sortaient probablement de sa plus que fertile et très féconde imagination. Je me souviens surtout d’une longue randonnée que nous avions faite au Mont Shefford et à laquelle il avait tenu à participer. Dès après le repas, pris au sommet de la montagne, nous nous étions rassemblés autour de lui et, pendant plus d’une heure, il avait tenu nos esprits et nos imaginations en haleine en nous racontant une longue histoire inventée de toutes pièces, laquelle avait eu l’heur de nous faire rire à gorge déployée plusieurs fois tout au cours de sa désopilante narration. Quel excellent conteur il était !
Mais là où je le découvris vraiment l’homme aux talents multiples, ce fut lors des soirées musicales que nous, les quelque deux cents pensionnaires que nous étions alors, passâmes en sa compagnie dans l’immense salle de récréation du Juvénat. Une ou deux fois par semaine, il savait accaparer notre attention et soutenir notre intérêt toute une soirée de temps en nous interprétant des œuvres de Chopin, Liszt, Beethoven, Brahms, etc. Et non seulement savait-il nous interpréter avec art et habileté les œuvres les plus intéressantes de ces colosses de la musique, mais encore se plaisait-il à les enrober de divers faits de la petite histoire (vrais ceux-là!) puisés dans la lecture des biographies de ces grands musiciens de l’âme desquels il semblait être imbibé. Grand connaisseur de la littérature française et anglaise qu’il était, il n’éprouvait aucune difficulté à établir des liens, la plupart du temps humoristiques, entre la musique, la littérature et l’histoire.
Comme elles étaient agréables ces trop brèves soirées d’été passées en sa compagnie !
Je présume qu’il avait également son mot à dire dans le choix des diverses pièces musicales qui venaient rehausser l’éclat que prenait chacune des cérémonies religieuses des mois de juillet et d’août au Mont. Mais il ne se contentait pas d’accompagner avec la fougue qu’on lui connaissait les divers cantiques ou chants religieux auxquels la tradition avait habitué les divers résidents du Mont-Sacré-Cœur. Tout agréables à entendre que fussent les Panis Angelicus ou les Ave verum traditionnels, nos oreilles devenaient, je ne dirais pas lassées, mais peut-être un peu trop habituées à les entendre. Et c’est lui qui se chargea de renouveler le répertoire qui, selon certains, commençait à donner quelques signes de fatigue et d’épuisement.
Et je ne doute en effet aucunement que ce fut lui qui avait suggéré au maître de chapelle d’incorporer le merveilleux Psaume 18 de Benedetto Giacomo Marcello (« Ouvrez, ouvrez, ouvrez vos portes éternelles… ») ou encore cet extrait de l’oratorio La Rédemption de Charles Gounod (« L’immensité du firmament proclame, ô Dieu, ta gloire… ») et quelques autres spécimens hauts de gamme dans le programme des pièces à être interprétées à quatre ou cinq voix lors des cérémonies de prise d’habit ou de profession religieuse. Aujourd’hui encore, chaque fois que je me les rappelle, ces divers airs résonnent toujours dans mon souvenir et dans ma mémoire avec toute la richesse de leurs plus que lénifiantes harmonies.
Mais, malgré sa grande affabilité, ses merveilleuses qualités et les nombreux parchemins dont il était détenteur (Ph. D. en philosophie, doctorat ès Lettres et licence en musique), je ne crois pas que je puisse prétendre que mon idole n’avait que des admirateurs. La hauteur crée nécessairement de l’ombre, cela est bien connu. Certains étaient-ils jaloux de lui ? D’autres lui enviaient-ils l’immense popularité et l’accueil chaleureux qu’il recevait partout où il passait ? Trouvait-on qu’il prenait parfois un peu trop de place ? N’ayant jamais vécu dans le même établissement que lui une fois devenu adulte, je ne puis qu’élaborer des théories à ce sujet et non pas asseoir quelque assurance que ce soit, même si je me m’appuie beaucoup et avec grande confiance sur les divers témoignages de ceux qui l’ont connu mieux que moi. Quoiqu’il en soit, s’il a réussi à se faire des ennemis, avoués ou secrets, je ne crois pas que leur nombre fût très impressionnant, car il était un être sans méchanceté, fort tolérant envers les autres, toujours prêt à rendre service, et surtout très compréhensif des nombreux travers de l’être humain.
Il est sûr, par contre, que certains essayaient parfois de le mettre en boîte et de le ramener un peu sur terre. Mais il ne s’en laissait pas imposer par le premier venu. À un confrère qui lui faisait remarquer qu’il se vantait peut-être parfois un peu trop, il avait humblement répondu avec le rire en cascades qui était devenu sa marque de commerce: « Peut-être, mais moi, j’ai ce qu’il faut pour le faire… ».
Une année, le frère Gaétan, provincial, l’avait nommé professeur de musique et maître de fanfare au collège Roussin, établissement montréalais de grande renommée qui, entre autres choses, était reconnu pour l’excellence de son corps musical. Pour tout commentaire visant à justifier son choix, le brave frère Gaétan, qui lui non plus n’avait pas la langue dans sa poche, avait, à la blague, affirmé : « Ils avaient besoin d’un fanfaron au collège… ». J’ignore comment il avait réagi à cette amicale boutade.
En 1957, les supérieurs jetèrent sur lui leur dévolu lorsqu’ils décidèrent d’implanter une nouvelle branche de la communauté en Côte d’Ivoire. Ils le nommèrent donc directeur du projet et, en compagnie de deux confrères, Fernand Pigeon et Hervé Provencher, il prit le chemin de l’Afrique où il demeura cinq ans. Je connais peu de choses du travail qu’il accomplit dans son nouveau champ d’action, mais sachant qu’il se dévouait toujours corps et âme dans tout ce qu’il entreprenait, je ne doute pas qu’il a dû mettre tous ses talents au service de son nouveau milieu. Le manque d’autorité et de discipline qui le desservait parfois en classe au Canada a sans doute dû lui nuire quelque peu en Afrique aussi, mais au dire de ceux qui l’ont vu œuvrer là-bas, il était aimé de tous et au moins aussi populaire auprès de ses élèves africains qu’il l’était auprès de ses élèves canadiens.
Après son retour d’Afrique, lorsque que je rencontrais des missionnaires qui avaient vécu à ses côtés en terre africaine, je me plaisais à faire aiguiller la conversation sur sa personne. À une seule exception près, tous étaient unanimes pour affirmer de lui qu’il était un compagnon fort agréable, toujours plein d’esprit et d’à-propos, doté d’une époustouflante mémoire et un érudit hors-pair qui n’hésitait pas à déverser sur son entourage le surplus de son savoir et de ses immenses connaissances. Et presque tous insistaient sur ses qualités de travailleur infatigable, toujours fidèle à exécuter les diverses tâches administratives, intellectuelles ou autres, inhérentes aux nombreuses responsabilités que comportait son poste de directeur de la mission de Côte d’Ivoire.
Mais je ne puis m’empêcher de songer que les instruments de musique, les pianos, les orgues, les harmoniums, les chorales et les manécanteries étant un peu moins nombreuses en Afrique qu’au Québec ou qu’en Ontario, le brave missionnaire a souvent dû s’ennuyer quelque peu de l’ambiance musicale dans laquelle baignaient ses talents avant qu’il ne quitte son pays natal. Aussi, ayant presque uniquement œuvré à Daloa, soit à quelque 450 km d’Abidjan, la capitale, il devait parfois, lui le boulimique de lecture, regretter l’absence de bibliothèques bien garnies et de librairies faciles d’accès autour de lui.
Je m’en voudrais de clore ce petit tableau sans mentionner le fait que le frère Lévis possédait une qualité que tous ceux qui l’ont connu ne peuvent s’empêcher de lui reconnaître et de toujours souligner, celle de toujours avoir été incapable de dire consciemment quoi que ce soit de mal contre quiconque. Peut-être même les mots médisance et calomnie lui étaient-ils inconnus. Sa profonde intelligence et son immense esprit d’observation n’ont certes pas manqué de lui faire réaliser l’incompétence et les maladresses de plusieurs, mais jamais, semble-t-il, il n’a accepté de condamner ou de critiquer malicieusement quelqu’un, que ce soit en public ou en privé. Jamais non plus ne chercha-t-il vengeance en portant délibérément et méchamment atteinte à la réputation de ceux qui se permettaient de le dénigrer. Être toujours prêt à rendre service à tout le monde, oui, mais rabaisser son prochain, non. Ce trait de caractère n’est certes pas étranger au fait qu’il avait su se gagner tant d’amis et tant d’admirateurs.
Il va sans dire que je n’ai jamais eu accès à ses carnets de plan de vie, ni à ses cahiers personnels, mais si tel avait été le cas, il ne m’aurait pas surpris d’y apprendre que l’une de ses devises ait été : ‘’Maxima utilitas, minimis mediis ». C’était un bourreau de travail dévoré par le désir de toujours chercher à atteindre la plus grande efficacité possible sans pour cela consumer la chandelle par les deux bouts. Malgré les nombreux défis qu’il s’imposait lui-même en surplus des tâches quotidiennes auxquelles il était soumis de par les divers postes qu’il a occupés, le frère Lévis (je le tiens de sources certaines), ne se couchait que très rarement après 22h00, sauf lorsque sa présence était requise à l’extérieur de la communauté. Bel exemple de discipline, de bonne hygiène mentale, de sain emploi du temps, ainsi que de respect des besoins de repos que nous impose la nature.
Je conclus mon petit boniment en affirmant que je crois que ce grand homme continue encore aujourd’hui d’avoir une influence plus que positive sur moi et sur ma manière de traiter les autres. Et je ne puis que lever très haut, puis baisser très bas, mon chapeau, devant celui dont l’amitié inoxydable qui nous lie l’un à l’autre, et qui est malheureusement devenue aujourd’hui posthume, risque de ne jamais s’éteindre.
Lionel Pelchat, le 12 avril 2010
La très grande influence qu’il a eue sur moi et l’admiration que j’ai toujours inconsciemment nourrie envers lui tiennent au fait qu’il était un être des plus attachants dont on ne pouvait ignorer le dynamisme, l’entregent naturel, la très grande ouverture d’esprit et la prodigieuse intelligence dont les dieux l’avaient doté.
Cet homme à la taille physique quelque peu inférieure à la moyenne était d’une stature intellectuelle et morale peu commune. Il semblait inapte à l’insuccès et possédait toutes les vertus d’une pile dix mille volts instantanément rechargeable. Son sourire perpétuel et son rire communicatif –bien que parfois quelque peu trop bruyant- nous démontraient qu’il avait développé une intolérance chronique à l’ennui. Et il faisait en sorte que cette allergie fût contagieuse et vînt infecter positivement tous ceux et celles avec qui il entrait en contact. Et ce joyeux troubadour était au comble du bonheur quand il faisait rire les autres, ce qui ne manquait pas de se produire très souvent.
Ce fut au début des années cinquante que je fis sa connaissance. Il avait été assigné au Mont-Sacré-Cœur pour la période des vacances et il passait le plus clair de son temps au piano à répéter les nombreuses pièces de musique que le frère Julien avait mises au programme des divers concerts dont les juvénistes étaient heureux de faire les frais durant les vacances d’été.
Pendant les récréations, il venait nous tenir compagnie et se plaisait à nous raconter une foule d’anecdotes et de blagues dont la plupart sortaient probablement de sa plus que fertile et très féconde imagination. Je me souviens surtout d’une longue randonnée que nous avions faite au Mont Shefford et à laquelle il avait tenu à participer. Dès après le repas, pris au sommet de la montagne, nous nous étions rassemblés autour de lui et, pendant plus d’une heure, il avait tenu nos esprits et nos imaginations en haleine en nous racontant une longue histoire inventée de toutes pièces, laquelle avait eu l’heur de nous faire rire à gorge déployée plusieurs fois tout au cours de sa désopilante narration. Quel excellent conteur il était !
Mais là où je le découvris vraiment l’homme aux talents multiples, ce fut lors des soirées musicales que nous, les quelque deux cents pensionnaires que nous étions alors, passâmes en sa compagnie dans l’immense salle de récréation du Juvénat. Une ou deux fois par semaine, il savait accaparer notre attention et soutenir notre intérêt toute une soirée de temps en nous interprétant des œuvres de Chopin, Liszt, Beethoven, Brahms, etc. Et non seulement savait-il nous interpréter avec art et habileté les œuvres les plus intéressantes de ces colosses de la musique, mais encore se plaisait-il à les enrober de divers faits de la petite histoire (vrais ceux-là!) puisés dans la lecture des biographies de ces grands musiciens de l’âme desquels il semblait être imbibé. Grand connaisseur de la littérature française et anglaise qu’il était, il n’éprouvait aucune difficulté à établir des liens, la plupart du temps humoristiques, entre la musique, la littérature et l’histoire.
Comme elles étaient agréables ces trop brèves soirées d’été passées en sa compagnie !
Je présume qu’il avait également son mot à dire dans le choix des diverses pièces musicales qui venaient rehausser l’éclat que prenait chacune des cérémonies religieuses des mois de juillet et d’août au Mont. Mais il ne se contentait pas d’accompagner avec la fougue qu’on lui connaissait les divers cantiques ou chants religieux auxquels la tradition avait habitué les divers résidents du Mont-Sacré-Cœur. Tout agréables à entendre que fussent les Panis Angelicus ou les Ave verum traditionnels, nos oreilles devenaient, je ne dirais pas lassées, mais peut-être un peu trop habituées à les entendre. Et c’est lui qui se chargea de renouveler le répertoire qui, selon certains, commençait à donner quelques signes de fatigue et d’épuisement.
Et je ne doute en effet aucunement que ce fut lui qui avait suggéré au maître de chapelle d’incorporer le merveilleux Psaume 18 de Benedetto Giacomo Marcello (« Ouvrez, ouvrez, ouvrez vos portes éternelles… ») ou encore cet extrait de l’oratorio La Rédemption de Charles Gounod (« L’immensité du firmament proclame, ô Dieu, ta gloire… ») et quelques autres spécimens hauts de gamme dans le programme des pièces à être interprétées à quatre ou cinq voix lors des cérémonies de prise d’habit ou de profession religieuse. Aujourd’hui encore, chaque fois que je me les rappelle, ces divers airs résonnent toujours dans mon souvenir et dans ma mémoire avec toute la richesse de leurs plus que lénifiantes harmonies.
Mais, malgré sa grande affabilité, ses merveilleuses qualités et les nombreux parchemins dont il était détenteur (Ph. D. en philosophie, doctorat ès Lettres et licence en musique), je ne crois pas que je puisse prétendre que mon idole n’avait que des admirateurs. La hauteur crée nécessairement de l’ombre, cela est bien connu. Certains étaient-ils jaloux de lui ? D’autres lui enviaient-ils l’immense popularité et l’accueil chaleureux qu’il recevait partout où il passait ? Trouvait-on qu’il prenait parfois un peu trop de place ? N’ayant jamais vécu dans le même établissement que lui une fois devenu adulte, je ne puis qu’élaborer des théories à ce sujet et non pas asseoir quelque assurance que ce soit, même si je me m’appuie beaucoup et avec grande confiance sur les divers témoignages de ceux qui l’ont connu mieux que moi. Quoiqu’il en soit, s’il a réussi à se faire des ennemis, avoués ou secrets, je ne crois pas que leur nombre fût très impressionnant, car il était un être sans méchanceté, fort tolérant envers les autres, toujours prêt à rendre service, et surtout très compréhensif des nombreux travers de l’être humain.
Il est sûr, par contre, que certains essayaient parfois de le mettre en boîte et de le ramener un peu sur terre. Mais il ne s’en laissait pas imposer par le premier venu. À un confrère qui lui faisait remarquer qu’il se vantait peut-être parfois un peu trop, il avait humblement répondu avec le rire en cascades qui était devenu sa marque de commerce: « Peut-être, mais moi, j’ai ce qu’il faut pour le faire… ».
Une année, le frère Gaétan, provincial, l’avait nommé professeur de musique et maître de fanfare au collège Roussin, établissement montréalais de grande renommée qui, entre autres choses, était reconnu pour l’excellence de son corps musical. Pour tout commentaire visant à justifier son choix, le brave frère Gaétan, qui lui non plus n’avait pas la langue dans sa poche, avait, à la blague, affirmé : « Ils avaient besoin d’un fanfaron au collège… ». J’ignore comment il avait réagi à cette amicale boutade.
En 1957, les supérieurs jetèrent sur lui leur dévolu lorsqu’ils décidèrent d’implanter une nouvelle branche de la communauté en Côte d’Ivoire. Ils le nommèrent donc directeur du projet et, en compagnie de deux confrères, Fernand Pigeon et Hervé Provencher, il prit le chemin de l’Afrique où il demeura cinq ans. Je connais peu de choses du travail qu’il accomplit dans son nouveau champ d’action, mais sachant qu’il se dévouait toujours corps et âme dans tout ce qu’il entreprenait, je ne doute pas qu’il a dû mettre tous ses talents au service de son nouveau milieu. Le manque d’autorité et de discipline qui le desservait parfois en classe au Canada a sans doute dû lui nuire quelque peu en Afrique aussi, mais au dire de ceux qui l’ont vu œuvrer là-bas, il était aimé de tous et au moins aussi populaire auprès de ses élèves africains qu’il l’était auprès de ses élèves canadiens.
Après son retour d’Afrique, lorsque que je rencontrais des missionnaires qui avaient vécu à ses côtés en terre africaine, je me plaisais à faire aiguiller la conversation sur sa personne. À une seule exception près, tous étaient unanimes pour affirmer de lui qu’il était un compagnon fort agréable, toujours plein d’esprit et d’à-propos, doté d’une époustouflante mémoire et un érudit hors-pair qui n’hésitait pas à déverser sur son entourage le surplus de son savoir et de ses immenses connaissances. Et presque tous insistaient sur ses qualités de travailleur infatigable, toujours fidèle à exécuter les diverses tâches administratives, intellectuelles ou autres, inhérentes aux nombreuses responsabilités que comportait son poste de directeur de la mission de Côte d’Ivoire.
Mais je ne puis m’empêcher de songer que les instruments de musique, les pianos, les orgues, les harmoniums, les chorales et les manécanteries étant un peu moins nombreuses en Afrique qu’au Québec ou qu’en Ontario, le brave missionnaire a souvent dû s’ennuyer quelque peu de l’ambiance musicale dans laquelle baignaient ses talents avant qu’il ne quitte son pays natal. Aussi, ayant presque uniquement œuvré à Daloa, soit à quelque 450 km d’Abidjan, la capitale, il devait parfois, lui le boulimique de lecture, regretter l’absence de bibliothèques bien garnies et de librairies faciles d’accès autour de lui.
Je m’en voudrais de clore ce petit tableau sans mentionner le fait que le frère Lévis possédait une qualité que tous ceux qui l’ont connu ne peuvent s’empêcher de lui reconnaître et de toujours souligner, celle de toujours avoir été incapable de dire consciemment quoi que ce soit de mal contre quiconque. Peut-être même les mots médisance et calomnie lui étaient-ils inconnus. Sa profonde intelligence et son immense esprit d’observation n’ont certes pas manqué de lui faire réaliser l’incompétence et les maladresses de plusieurs, mais jamais, semble-t-il, il n’a accepté de condamner ou de critiquer malicieusement quelqu’un, que ce soit en public ou en privé. Jamais non plus ne chercha-t-il vengeance en portant délibérément et méchamment atteinte à la réputation de ceux qui se permettaient de le dénigrer. Être toujours prêt à rendre service à tout le monde, oui, mais rabaisser son prochain, non. Ce trait de caractère n’est certes pas étranger au fait qu’il avait su se gagner tant d’amis et tant d’admirateurs.
Il va sans dire que je n’ai jamais eu accès à ses carnets de plan de vie, ni à ses cahiers personnels, mais si tel avait été le cas, il ne m’aurait pas surpris d’y apprendre que l’une de ses devises ait été : ‘’Maxima utilitas, minimis mediis ». C’était un bourreau de travail dévoré par le désir de toujours chercher à atteindre la plus grande efficacité possible sans pour cela consumer la chandelle par les deux bouts. Malgré les nombreux défis qu’il s’imposait lui-même en surplus des tâches quotidiennes auxquelles il était soumis de par les divers postes qu’il a occupés, le frère Lévis (je le tiens de sources certaines), ne se couchait que très rarement après 22h00, sauf lorsque sa présence était requise à l’extérieur de la communauté. Bel exemple de discipline, de bonne hygiène mentale, de sain emploi du temps, ainsi que de respect des besoins de repos que nous impose la nature.
Je conclus mon petit boniment en affirmant que je crois que ce grand homme continue encore aujourd’hui d’avoir une influence plus que positive sur moi et sur ma manière de traiter les autres. Et je ne puis que lever très haut, puis baisser très bas, mon chapeau, devant celui dont l’amitié inoxydable qui nous lie l’un à l’autre, et qui est malheureusement devenue aujourd’hui posthume, risque de ne jamais s’éteindre.
Lionel Pelchat, le 12 avril 2010
Pour le peu que j ai connu de mon Oncle.. Celui-ci etait un homme de tete!!!!!!! J ai souvenir de son jeux de piano et orgue !
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