mercredi 3 février 2010

LA VOCATION

Par Michelle Bélanger-Mercier

J'ai 18 ans, peut-être 19. Nous sommes en 1958 ou 1959. Je me retrouve avec mes compagnes de classe dans un couvent ou un monastère pour ma retraite fermée annuelle.

Ce court séjour dans ce monde silencieux et mystérieux n'est pas pour moi une corvée ou un chemin obligé. Au contraire, la paix, le calme, la sérénité, le silence qui se dégagent de ces grands espaces me fascinent. L'impression que rien ne peut m'atteindre, d'être dans le monde sans y être, loin de ma famille, de ma routine quotidienne, du brouhaha de Montréal me font à la fois réfléchir et rêver. Suivant la consigne énoncée à notre arrivée, nous circulons en silence, à pas feutrés dans les longs corridors en respectant un horaire précis du lever au coucher.

Les habitants des lieux (religieux ou religieuses) vont et viennent, légers, souriants, à la fois chaleureux et lointains, habités par une lumière qui m'éblouit et des motivations qui m'échappent, chacun accomplissant sa tâche avec célérité sans avoir l'air pressé. Cette ambiance où tout semble simple et réglé au quart de tour m'apporte paix et bien-être.

S'offrent à moi trois jours de méditation, de lecture, de prière à la chapelle ou dans ma chambrette individuelle, entrecoupés par de nombreuses prédications offertes par un prêtre ou un clerc habituellement attachant et intéressant.

De plus, il y a la rencontre individuelle obligatoire avec le prédicateur qui crée toujours un inconfort autant chez mes compagnes que pour moi. Le principal motif de ce tête-à-tête est la confession générale de nos péchés suivie d'une absolution spéciale qui efface tous les manquements de notre vie passée. Cette énumération de nos fautes est habituellement précédée par un échange, une évocation de notre cheminement personnel, de nos questionnements, de notre vision de la vie, de notre avenir, ce qui ouvre tout doucement la porte à des questions plus précises…

Le prêtre m'interroge

"La vie religieuse, qu'en penses-tu? Consacrer ta vie à Dieu, est-ce que ça t'intéresse?" "Non, pas vraiment" lui dis-je.

"Pourquoi?" me demande-t-il.

"Une femme qui entre en religion n'est plus jamais seule. Elle vit toujours avec d'autres femmes. Elle doit demander la permission pour presque tout. Elle doit toujours être accompagnée d'une autre religieuse ou d'un chaperon si elle a à sortir. Toujours deux, pour moi c'est impensable…"

Silence, puis après une hésitation..., je lance:

"Cependant, j'aimerais bien être curé. Vivre dans un presbytère avec une ménagère à mon service, conduire ma voiture, cela me plairait. Pourquoi les femmes ne peuvent pas accéder à la prêtrise?"

Un peu ébranlé par cette question probablement inhabituelle, il hésite puis me donne les réponses :

1) Les douze apôtres étaient tous des hommes. Cela donne une indication de la volonté de Dieu.


2) Les prêtres disent la messe tous les jours. Que ferait alors une femme si ses menstruations débutaient durant la messe?

3) Comme tu le sais, les femmes ont de la difficulté à garder un secret. Alors, il y aurait de gros problèmes avec la confession, le sacrement de Pénitence.

J'étais là devant cet homme que j'admirais pour sa bonté, qui avait une expérience de la vie beaucoup plus vaste que la mienne, un théologien aux connaissances religieuses élaborées qui nous parlait de Dieu avec aisance et assurance mais je me suis dit qu'il avait sûrement besoin d'une mise à jour sérieuse sur l'anatomie féminine et sur le phénomène du flux menstruel!

J'étais déconcertée, un peu sidérée. Je savais que le sacerdoce était inaccessible aux femmes mais je suppose que mon jeune âge me faisait croire que les raisons de cette interdiction reposaient sur des assises plus sérieuses.


ÉPILOGUE

Cinquante ans plus tard, les réponses à cette question demeurent toujours aussi nébuleuses, imprécises et irrationnelles. À ce chapitre, le Catholicisme, le Judaïsme et l'Islam, les trois grandes religions monothéistes ont beaucoup de points en commun.


Michelle Bélanger-Mercier

Sur la vidéo suivante, voyez Michelle raconter ces faits.

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