jeudi 14 juillet 2011

« Vox clamentis in deserto". La voix qui crie dans le désert – Isaïe 40,3

La mission des Frères du Sacré-Cœur, héritée du  père André Coindre _______________________
par  Frère Claude Paradis S. C..


En préambule, précisons que le désert, sous la plume d’Isaïe n’avait pas la signification d’un lieu physique aride, mais celle du lieu privilégié de la révélation.

J’ai rencontré frère Claude Paradis à sa demeure sur la rue d’Orléans dans le quartier Hocheolaga-Maisonneuve. Tout en maintenant des liens étroits avec sa communauté, il y vit seul depuis onze ans.

Pendant les 68 premières années de sa vie on peut dire que Claude a suivi l’itinéraire classique d’un grand nombre de Frères du Sacré-Cœur : naissance en ville dans un quartier ouvrier, fréquentation de l’école des Frères, entrée au Juvénat à l’âge de 13 ans.

Après cinq ans de formation il fit son apprentissage de l’enseignement à l’École Meilleur puis fut nommé à Gracefield où il oeuvra pendant six ans.

 En 1958, il fut envoyé en Côte d’Ivoire, puis, en Haïti en 1970. Il contribua avec Madame Louise Alary à la mise en marche de la Fondation Crudem. Tout en continuant d’assumer son rôle d’enseignant à l’intérieur de sa communauté, il mit en marche, avec les populations concernées, souvent secondé par André Camaraire, un des vice-présidents d’Hydro-Québec, de nombreux projets de développement dans les régions de Milot au Sud du Cap-Haïtien et de la Sucrerie Henri, près de la ville des Cayes. Son implication en milieu défavorisé, le sensibilisa à la pertinence de la mission que le père André Coindre avait donnée à sa communauté. Petit à petit, il mesura l'écart que sa communauté avait pris par rapport à cette mission.

En 1997, de retour au pays après avoir œuvré trois ans en Polynésie, et après avoir tenté au pays quelques actions en milieu défavorisé, il fut nommé directeur des études à l’Externat Sacré-Cœur de Rosemère. Après trois ans, à la suggestion de son supérieur, il quitte le milieu confortable de l'éducation institutionnelle pour s’installer sur la rue d’Orléans là ou il demeure seul depuis onze ans. 

Vivant dans ce quartier il prit une meilleure connaissance et conscience de la grande pauvreté matérielle et spirituelle dans laquelle vivaient les résidents de ce milieu. Frappé d'une  maladie qui réduisit sa mobilité il consacra ses moments libres à décrire son cheminement, à noter ses expériences et à faire part de ses réflexions dans de nombreux écrits fixés sur supports informatiques.

Plusieurs de ces écrits expriment sans complaisance sa vision de la vie religieuse marquée par l'admiration qu'il a toujours pour le Père Coindre fondateur de l'Institut. Dans un langage direct, fourmillant d’images kaléidoscopiques éclairées par l’intensité de la vision il nous dit sa foi en Jésus, dans la force de transformation de l'.Évangile et son souci des nombreux pauvres et laissés pour compte qui vivent parmi nous et que souvent nous ne voyons pas. 
Quelques glanures vous donneront ici une petite idée de l'originalité de sa pensée et de son cheminement.
F. J.

Le Père André Coindre

Claude dit s'ètre intéressé très tôt au fondateur de l'Institut.  La plupart d'entre nous, jusque vers les années 60 on a connu et retenu de notre fondateur que l'image du volumineux buste en platre qui occupait le parloir du Mont-Sacré-Coeur à Granby. Claude a surtout été sensible à la mission que le Père Coindre avait léguée aux frères et aux soeurs des communautés qu'il avait fondées. . Voyons ce qu'il en dit aujourd'hui.

André Coindre, comme d'autres de son époque, fut interpellé par la détresse des enfants laissés à eux-mêmes. Son zèle missionnaire l'incita à s'impliquer. Il a d'abord recueilli des jeunes filles et en confia la garde à des femmes qu'il a su inspirer. Il s'est penché sur le sort des jeunes garçons, errant dans les rues de Lyon. Il en a d'abord hébergé quelques-uns au Pieux-Secours, un immeuble qu'il a équipé de métiers à tisser, pour initier les jeunes au travail et leur permettre d'espérer une vie honorable. Il s'est aussi ému devant la détresse des jeunes délinquants emprisonnés avec des adultes dans les prisons mal tenues de l'époque. Il a aussi créé pour eux un foyer.

Qu’avons-nous fait de cette mission?

"Nos œuvres se sont transformées en usines productrices de diplômés, en boîtes spécialisées dans de savants dressages en oubliant l'essentiel de notre vocation première. Serions-nous, spirituellement devenus stériles et gâteux? Il est trop tard. Nous sommes trop imprégnés de nos sociétés aseptisées et compartimentées, pour revenir à la grâce d'origine. La disparition de notre entreprise évangélique devenue inutile est inévitable. Il ne reste d’avenir qu’un confort béat et notre bonne conscience de petits vieux satisfaits."

Réfléchissant sur la mission d'évangélisation proposé par le concile Vatican II, Claude en tire des applications pratiques quant  au virage que doit prendre la mission des religieux dans l'Église. 

"Évangéliser la culture signifie rendre Dieu visible aux hommes. Non le médiatiser comme une vedette mais le faire transparaître à travers nos actions, nos vies comme l’a fait Soeur Teresa et tant d’autres. Pour cela il faudrait vraiment vivre l’amour du prochain, être présents près des pauvres, des rejetés."

... "Entrer en contact avec des drogués et putains des deux sexes est moins valorisant et n’égale point le sentiment de bonne conscience que donne une démarche vers le temple. Un atterrissage parfait sur un grand boulevard est beaucoup plus spectaculaire et médiatisé que le versement d’une obole à un crasseux."

Sa vision de l’humble implication de Mère Theresa et de ses petites sœurs banalise nos petites œuvres.

"Les petites soeurs de Mère Teresa se développent partout, surtout en pays où la misère est banalisée. Elles ne se contentent pas, à l’occasion de Noël, de distribuer un plat de soupe aux malheureux. Les responsables de nos institutions religieuses s’occupent de leur patente, veillent à l’observance de pratiques inadaptées aux contextes sociaux actuels, tout comme l’Église encore engluée dans des prescriptions dépassées du concile de Trente. Le régime religieux n’a pas encore redécouvert le moteur à explosion... de l’évangélisation. La machine est en panne."

Ces considérations l'amènet à poser un regard critique sur le devenir de sa communauté.

"La communauté a perdu sa vocation. Ce n'est pas les petits vieux rentés, hésitant entre la sécurité et le confort, qui vont la ressusciter: ce n'est plus une guérison qui s'imposerait mais une véritable résurrection. Il est plus facile et agréable d'écouter les flagorneurs nous louanger sur nos succès apparents que de nous remettre en question et de réviser courageusement nos façons de voir et de faire."

"Comment en est-on venu à oublier la simplicité du message évangélique pour ne se préoccuper que de pieuses "grimaces" ?

Ne penser qu’à soi, à ses biens, à sa doctrine avant d’aider son prochain, c’est être un pain sans levain, un porteur sans bagage, un annonceur sans message, un témoin sans vision, un jardinier sans semence, un jardin sans fleurs, un priant sans adoration ni demandes, tout comme le pharisien de l’Évangile."

Ses modèles de vie :

"François d’Assise, dépouillé de tout, est parti seul sur les routes sans projet de fonder un ordre. Marthe Robin, paralysé et aveugle pendant plus de cinquante ans, n’a jamais projeté l’ouverture de centaines de foyers de charité à travers le monde. Le frère André n’a pas dessiné les plans de la majestueuse basilique qui domine Montréal, pas plus que saint Pierre celle de Rome. André Coindre n’avait pas l’idée de fonder une communauté quand il a ramassé deux enfants abandonnés dans les rues de Lyon."...

... "Même phénomène dans la démarche de l’abbé Pierre, de Vanier et de Pop’s avec sa roulotte. Ils ont tous été les instruments et non des planificateurs de la volonté de Dieu.
Dieu indique sa volonté mais nous sommes aveugles. On la fuit, comme Pierre fuyait Rome pour sauver la patente."

Sur les sorties de communautés

L’unicité de la vision de Claude s’applique à tout ce qu’il voit. Voici ce qu’il écrit à propos des sorties de communautés

"Un mystère mystérieusement mystérieux que ces nombreuses sorties de communauté depuis un demi-siècle. C’est toujours mystérieux, facile aussi de rejeter sur la volonté de Dieu les raisons de la disparition progressive et inéluctable des communautés religieuses. C’est plus facile de se fermer les yeux. On a rejeté les idéaux de Coindre, le soucis de recueillir des enfants en détresse pour jouer à la perfection religieuse. Dieu a fait de même: Il nous a rejetés."

Claude reconnaît que ses conditions de vie présente sont un peu en marge du cadre de vie habituel des
Frères du Sacré-Coeur. Cette longue insertion dans le quartier lui a permis de découvrir un sens souvent ignoré de la pauvreté évangélique.:

"Quelques confrères sont intervenus pour je réintègre les cadres de la communauté. Ils m’ont fait miroiter, certains plus discrètement que d’autres, les avantage matériels d’un retour à la vie commune dans une ou l’autre de nos maisons. … Ce séjour en dehors des cadres ne m’a pas facilité la vie sur le plan matériel. Par contre, ce plongeon dans un milieu défavorisé m’a fait découvrir une dimension nouvelle de la pauvreté que je n’avais vue ni en Afrique, ni en Haïti: la pauvreté spirituelle, l’isolement, quelquefois le mépris. "

Comme un musicien en quête de l’expression la plus achevée de sa mélodie intérieure Claude, assis devant son écran, s'applique tous les jours à décrire les variations infinies du regard qu'il projette sur sa vie et sur son entourage. Ses écrits, la respiration de sa foi, les battements de son coeur.

NDLR
Le texte intitulé PORTEURS DE FLAMME ou TRANSMETTEURS DE TRUCS comme celui titré MORT ou RÉSURRECTION ramassent assez bien, selon moi, la foi qui nourrit son regard sur la vie religieuse et sur l’essentiel de la mission des frères  inspirés par l’exemple d’André Coindre. Pour accéder à ces  textes cliquez ici,
Textes choisis et présentés par Florian Jutras

PORTEURS DE FLAMME ou TRANSPORTEURS DE TRUCS

Bien que certains déplorent que les nécessités du travail en pays dits de mission grugent fortement nos prudentes économies, le dévouement de nos confrères éloignés, par contre, nous rassure et contribue à engourdir notre quiétude. Nos politiques missionnaires, prudentes et réalistes, nous ont trop souvent habitués à privilégier le nombrilisme et la réclusion confortable en cercles fermés au détriment de l’ouverture désintéressée et du service des petits et des pauvres, comme devrait nous inspirer notre vocation.
Un drame: la majorité des communautés religieuses qui s’activaient dans les secteurs de l'éducation ou de la santé ont perdu leur vocation primitive et n'ont pas conservé, ni transmis le charisme de leur fondateur. La vision du développement extraordinaire des petites soeurs de mère Teresa devrait nous ouvrir les yeux. Plaise à Dieu qu’elles ne se mettent pas, elles aussi, à tout rationaliser.
Nos communautés vieillissantes, composées en presque totalité de retraités bien rentés et bien pensants, ne semblent avoir d’autre avenir que celui prévu par l’administration et les finances. On se paye des sessions d'études très sérieuses, des voyages de repos très apostoliques, des sessions spirituelles très pieuses et même des cheminements spirituels très charismatiques qui en conduisent certains jusqu'à imposer les mains pour guérir les malades. C'est de toute beauté. Même beauté que celle des pharisiens qui priaient et jeûnaient, versaient ostensiblement leurs oboles, tout en étant confortablement pétris de bonne conscience. Jésus traita ces prétendus exemples de perfection de pleins de merde: c'est la traduction la plus compréhensible dans notre langage de sépulcres blanchis.

La bonne nouvelle a commencé par le choix de l'humble Marie, une pauvre fille dans un village reculé d'un petit pays. Le Fils de Dieu naît dans une étable. Ses premiers adorateurs sont d’humbles bergers qui ne devaient pas aller souvent au temple. Pour son premier miracle, Jésus multiplie le vin pour une bande de gens déjà joyeux. Il se choisit des apôtres venant de milieux humbles, Il circule chez les pauvres, les nourrit, les guérit et leur transmet un message d'amour extraordinaire dans le Sermon sur le Montagne, bellement résumé dans les Béatitudes. Il ne répugne pas à manger avec les pécheurs, ni à louer la veuve qui donne sa petite obole au temple. Il livre un dernier message à ses proches avant de mourir: "...mon dernier commandement: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés". Il meurt nu et déchiqueté en amenant un bandit avec Lui au Paradis...
Claude Paradis

____________________________________

MORT ou RÉSURRECTION

Dans nos communautés nous avons eu plus d’administrateurs que de prophètes. Personnellement, je ne suis ni l’un, ni l’autre. Les dirigeants semblent vouloir cacher cette évidence ou croire pouvoir en retarder ou prévenir la trop brusque disparition de nos communautés. Peut-être veut-on r sécuriser les frères dont la majorité sont des vieillards ou en train de le devenir. Notre confort de pauvres est assuré jusqu’au cimetière, inscription tombale incluse.
Est-ce que le confort, la bonne conscience et l’illusion de se croire encore utiles peut susciter de généreux engagements dans le service des enfants en détresse. Se déculpabiliser est plus commode que s’engager. L’étatisation ne remplacera jamais l’évangélisation, pas plus que les avantages salariaux, le dévouement. Il est plus facile de se voiler la face que risquer de voir la misère et affronter la réalité. C’est à nous d’aller vers les pauvres, non l’inverse.
Pour nous convaincre que le charisme transmis par le fondateur se transmet, on médiatise l’action de certains confrères qui pour passer le temps ou pour s’épanouir davantage s’occupent d’œuvres personnelles.. On aurait mieux fait de rester dans notre jardin plutôt qu’aller jouer dans les plates-bandes des autres. La bonne conscience a remplacé le risque de vivre l’évangile.

Notre fondateur, tout comme les fondateurs d’oeuvres semblables à la nôtre, n’ont pas songé à mettre d’abord sur pied des organisations rationnelles; ils ont plongé dans l’univers de la misère des enfants. Malheureusement, le confort et la bonne conscience ont remplacé le risque de l’engagement dans l’aventure chrétienne comme il est plus facile de prêcher que de s’incarner.
Je souriais ce matin en lisant dans le journal (La Presse 26/09/09) ce passage de Mathieu Brunel, résidant du Vieux-Montréal: “Dans le quartier, il y a un parc pour les chiens; pour les enfants il faut aller très loin”. Jusqu’où devrons-nous aller pour trouver des audacieux?

Claude Paradis



lundi 11 juillet 2011

En mission pour la vie - Jusqu’au bout! Une réflexion sur la mission -

par Jean-Guy Roy S. C.(1)
_______________________________________________

Ces réflexions de Jean-Guy Roy
ont été publiées dans une revue communautaire
appelée Le Lien
Nous venons de terminer une décennie pour la moins éprouvante. S’il y a une décennie récente qui a secoué quelque peu nos sécurités, c’est bien celle qui vient de s’esquiver tout doucement sous des airs de rigodon et des odeurs de dinde farcie. La grande aventure des Frères du Sacré-Cœur au Canada a connu elle aussi son lot de défis, de souffrances, de succès et de remises en question. Nos frères plus anciens pourraient nous raconter avec moult détails des débats houleux et parfois, avec un regard rétrospectif sur l’histoire, combien fantaisistes à certains égards. C’est notre histoire sainte après tout. Malgré la raréfaction des vocations et le vieillissement de nos effectifs, la générosité est toujours au rendez-vous dans nos rangs. Nous sommes pétris et façonnés pour le service désintéressé, le don oblatif de nos personnes. C’est l’histoire de notre vie, de notre parcours et de notre destinée. Nous sommes des êtres habités et même imbibés jusqu’au fond de notre âme par la générosité, le don de nous-mêmes. Notre engagement religieux s’inscrit dans cette mouvance épanouissante et plus souvent qu’autrement emballante pour qui sait en mesurer la richesse intrinsèque.
En débutant ce propos sur la mission, le refrain d’une chanson de Robert Lebel me monte aux lèvres :
« Jusqu’au bout de la vie, jusqu’au bout de l’amour,
Gardant toujours cette force tranquille
Qui me libère la vie, qui libère l’amour,
Au jour le jour, à force d’Évangile…
Jusqu’au bout! »

Chers confrères, c’est cela la mission! Le Cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal, aime bien redire à l’occasion : « Les sœurs puis les frères, ça meurent deboutte! », en tenue de service. Frères, c’est l’Évangile qui nous tire par en avant, qui chaque matin soulève nos pas devenus quelque peu lourdauds et parfois hésitants au fil des ans. Nous avons été et nous sommes toujours, certes avec moins d’ampleur, de ronflant mais sans moins de pertinence, des artisans signifiants auprès de jeunes et d’adultes en devenir. À chaque jour, des gestes porteurs de sens et de profondeur atteignent par le biais de confrères exceptionnels le cœur de milliers de jeunes et d’adultes qui cherchent, doutent et luttent. À l’extérieur de nos murs, la vie n’est pas toujours un fleuve tranquille, loin de là. Nous sommes parfois pour eux un ami, un confident, un éducateur, une référence et plus souvent qu’autrement un brin d’espoir.

J’ai en mémoire Sœur Estelle Lauzon, sœur de la Providence, assassinée le 13 août 2007 non loin de nos frères de la rue Fullum. J’écrivais dans le journal La Presse ceci: « Sœur Estelle avait 81 ans et s’occupait de réinsertion sociale auprès d’adultes ayant des problèmes psychiatriques ou de dépendance. À son âge, Sœur Estelle aurait pu se reposer bien confortablement après tant d’années de service auprès des démunis. Elle aurait pu visiter les malades ou encore distribuer la communion aux personnes seules comme font plusieurs religieuses âgées. Sœur Estelle était sur le front, auprès de ceux qui souffrent du mal de l'âme, de la désinstitutionalisation de nos centres psychiatriques, de dépendances émanant de notre société éclatée.

Sacrifice d'une femme qui, par conviction et engagement religieux, croyait aux gestes simples qui changent des vies, bousculent des manières de penser et de faire. Elle aura été, sans aucun doute, victime d'un amour qui dépasse nos valeurs superficielles et même notre entendement. Sœur Estelle est morte au combat, pas celui de l'Irak ou de l'Afghanistan, mais celui qui a cours dans nos rues urbaines. » À l’instar de Sœur Estelle, les exemples de frères inspirants pour bien des gens de chez nous sont nombreux.

Il n’y a pas d’âge ou de saison pour la mission. C’est l’appel du meilleur de soi-même au service d’un confrère qui souffre, d’un jeune en crise, d’une chorale à mettre en voix, d’une corvée à finir. Diversifiée et multiforme, elle se déploie admirablement bien dans les différentes œuvres de la province. Les talents et les charismes de chacun ne sont pas emmurés mais ils peuvent s’épanouir selon les capacités et les rythmes de chacun. Entre vous et moi, il n’est pas nécessaire de brasser la même soupe pour être proche, en communion dans la mission. C’est l’esprit de communion qu’il faut développer sans cesse au-delà du faire et parfois même du faire ensemble. Quand je quitte la maison pour le boulot, il importe que je sois en communion avec ceux qui m’envoient, les autres qui partent ailleurs ou qui restent pour l’infirmerie, L’Ancre, l’ESB, L’Arrimage et j’en passe. Je ne suis jamais seul en mission, car je suis un envoyé, encouragé et soutenu par les miens. C’est aussi cela la mission commune!

Nous sommes et nous serons toujours des hommes d’action, des religieux éducateurs; ça nous colle à la peau. Nous sommes en quelque part, selon une expression bien de chez nous, d’excellents faiseux, créateurs et ingénieux, depuis 1872. Le savoir-faire n’a pas de secret dans nos rangs, car il y a tous les talents ou presque. Malgré un âge moyen assez élevé, nous avons toujours un peu de poussière de craie sur nos doigts. Mais nous le savons tous, la mission dépasse évidemment le savoir-faire aussi brillant soit-il. Elle s’inscrit aussi dans une dynamique relationnelle, fraternelle et spirituelle qui sans cesse doit s’évaluer périodiquement en communauté. Il faut être profondément habité par ce qui nous rassemble, nous fortifie, nous réalise et nous édifie. Notre mission ne se réalisera jamais seul si nous restons profondément en esprit de communion avec nos frères et en collaboration étroite avec des laïcs compétents, soucieux de l’avenir de nos œuvres. Notre règle de vie (150) nous rappelle avec sagesse et pertinence ceci: « Avec lucidité, prudence et audace, nous adaptons notre action éducative aux besoins des temps et des lieux, afin de répondre le mieux possible aux appels de l’Esprit. »

Frères, la mission pour la vie, c’est jusqu’au bout!

Frère Jean-Guy Roy, S.C.


1) Frère Jean-Guy Roy est directeur général du réseau radiophonique Radio Ville-Marie et responsable d'une résidence d'étudiants près de l'Université de Montréal. De 1991 à 1997, il a occupé les postes de supérieur provincial à Montréal et d'assistant général de la communauté à Rome. Il est toujours membre du conseil provincial au Canada. Journaliste et animateur de radio, il compte à son actif six publications et près de 350 articles que l'on peut lire sur son blogue au www.radiovm.com .

UNE COMMUNAUTÉ À LA CROISÉE DES CHEMINS

par Jean-Claude Éthier S.C.
______________________________________________________
Dans les lignes qui suivent – c’est peut-être évident, mais il faut le dire quand même – j’expose ce que moi je pense de la situation où se trouve la congrégation ici au Canada, et sans doute en beaucoup d’endroits dans le monde.

Personnellement, au plan de la vie religieuse, vu mon âge, j’ai vécu jusque vers la fin des années 1960 sur la lancée de l’esprit «congrégationiste» venu du XIXe siècle français, fortement teinté de la volonté de restauration avec un accent sur les pratiques de dévotions populaires au Sacré-Cœur et à la Sainte-Vierge. J’ai été, comme les confrères de cette période, imbibé de la mentalité de l’ultramontanisme et du cléricalisme. Tous ces courants d’abord venus d’outremer ont été également travaillés par les éléments du contexte social, politique et religieux dans le milieu canadien et québécois.

La mission était alors claire pour la congrégation : faire œuvre d’éducation dans les écoles élémentaires publiques et dans des collèges privés où l’on répondait à un besoin particulier; il s’agissait d’offrir aux jeunes un cours d’études secondaires qui se présentait comme une alternative au traditionnel cours classique qui ouvrait sur les études universitaires.

La réforme du système de l’éducation, allant de pair avec la baisse de l’emprise du clergé sur celui-ci, la révolution culturelle et le concile Vatican II, suivis du mouvement de sécularisation des institutions scolaires et celles de la santé auront des répercussions immenses sur les instituts de vie apostolique comme le nôtre.

Tout changea profondément dans les communautés : le lien communautaire, l’horaire, le style de vie, le rapport avec le monde, les exercices de piété et la mission qui devait être désormais redéfinie.

Puisque nous aboutissons assez brusquement à l’abandon presque complet de l’engagement traditionnel dans les écoles, nous avons commencé à explorer des pistes nouvelles «d’apostolat» étant donné que nous devions également faire face à trois problèmes : le tarissement de la relève, les sorties de l’institut et le vieillissement des effectifs. Voici quelques-unes des pistes qui ont été empruntées :

a) les divers services de pastorale (diocèse, paroisse)
b) la ligne prophétique de la vie religieuse (engagement social)
c) les œuvres sociales et humanitaires
d) les mouvements spirituels nouveaux (charismatique, entre autres)
e) les missions lointaines

Une des conséquences du chambardement des années 1960 et 1970 a été pour moi, et sûrement pour beaucoup d’autres, la nécessité, en quelque sorte, de rebâtir une nouvelle théologie de la vie religieuse et de découvrir une spiritualité plus adéquate. Il fallait combler le besoin de sens.

Le leadership de la congrégation a tenté au cours des quarante dernières années de susciter une reprise : essor nouveau, élan, relance, revitalisation sont des mots qui ont été utilisés pour exprimer une volonté d’assurer un avenir à la congrégation, pour éviter de déboucher sur l’extinction.

Cependant les nombres continuent à baisser et le vieillissement se poursuit.

Tout est-il joué?

En ce qui me concerne, je me propose bien de finir mes jours comme Frère du Sacré-Cœur dans la sérénité et dans la confiance que Dieu fera naître des choses nouvelles : c’est là le fondement du mystère chrétien.

Le défi est grand pour ceux qui veulent maintenir vivant notre projet Frères du Sacré-Cœur. En plus de garder «la flamme allumée», il leur faut dessiner une «autre peau» et écrire leur propre histoire.

Au demeurant, la communauté de l’avenir sera formée de frères qui seront forcément des chercheurs, en quête de la Bonne Nouvelle pour leur temps et adeptes de la contemplation.

Jean-Claude

«Comment j’entrevois la vie religieuse dans l’avenir»

par Brother Marcel Rivière S. C.
_____________________________________

Venons-en aux réponses que je donnerais à la question que tu as posée.

1. Nous pourrions comparer le concile Vatican II au big bang : un phénomène qui bouleverse de fond en comble notre époque. Vatican II est comme la première manifestation du changement de paradigme auquel nous sommes confrontés. Il consiste en une sorte de prise de conscience ou encore un appel impératif, pour les membres des communautés religieuses de se renouveler en profondeur afin de devenir signifiants pour nos contemporains.

2.La difficulté que les religieux et les religieuses éprouvent concernant la consigne du Concile Vatican II de se renouveler complètement vient du fait que l’Église elle-même a enseigné durant des siècles que la vérité est inaltérable, qu’elle ne change pas. L’Église a condamné le modernisme comme une erreur grave.

Il faut aussi tenir compte du fait que les dirigeants de l’Église souhaitent «restaurer» l’Église en revenant aux formules et aux manières de faire de la période d’avant Vatican II. Repenser véritablement la vie religieuse, imaginer un autre modèle de vie religieuse est extrêmement difficile.

3. Peu après le concile Vatican II, nous, les frères, sommes passés d’une spiritualité presque monastique à une spiritualité apostolique, à une spiritualité qui voulait se situer dans le courant de notre temps.

4. À titre d’exemples, j’indique quelques concepts qui sont apparus à la suite du Concile Vatican II.

- Les vœux. La pauvreté a été présentée comme disponibilité, ouverture au service des autres; la chasteté comme relations bienveillantes, accueillantes; l’obéissance comme écoute des autres, de la communauté (de l’ensemble de nos frères et sœurs chrétiens) en étant attentifs à l’inspiration de l’Esprit Saint.

- Dieu. La notion de Dieu a évolué; elle s’est trouvée liée davantage à la notion de création comme conséquence d’une intuition nouvelle face à la vie, à la création elle-même comprise comme première révélation; Dieu est situé au cœur de la création et de l’univers.

- Les relations. Nous nous rendons de plus en plus compte que Jésus donnait préséance aux relations, qu’il enseignait que la grâce de Dieu touche chacun, toute la création. Chacun de nous, tous les êtres, sont objets de l’amour de Dieu; Dieu appelle chacun à la vie en plénitude, à la liberté.

5. Le sens de la vie religieuse (durant la vie du Père André Coindre, de même qu’avant et après) était déterminé par la loi de l’Église, par ses dirigeants. Les religieux et les religieuses étaient perçus comme une «équipe de travail», «un corps d’ouvriers rompus à la mission»; c’est ce que les fondateurs et les fondatrices envisageaient et dont ils et elles rêvaient pour leurs disciples.

La vision des fondateurs et fondatrices était prophétique en ce qu’elle constituait une excellente réponse à un besoin urgent, étant donné les conditions déplorables dans lesquelles se trouvaient des êtres humains dans plusieurs régions du monde.

L’aspect institutionnel de la vie religieuse, de même que cette dimension «ouvriers et ouvrières pour la mission» avaient leur importance pour donner forme et stabilité à l’intuition du fondateur ou de la fondatrice, mais là n’était pas l’essence même de la vie religieuse. La vie religieuse est d’ordre prophétique, et comme le ministère exercé par Jésus, elle n’est pas d’ordre hiérarchique, institutionnel, culturel et social. Il semble que l’appel fait à la vie religieuse aujourd’hui est de retrouver son caractère prophétique et de renouer avec sa mission institutionnelle traditionnelle et sa réalité propre.

6. Le concile Vatican II a rappelé que le fondement de la vocation est le sacrement de baptême; on reconnaît de ce fait que les laïcs peuvent exercer un ministère. Au cours des ans, nous en avons tenu compte. En effet, les laïcs ont pris charge de nos écoles; ce qui est excellent. Il semble bien qu’il leur reviendra comme ministère de poursuivre l’œuvre d’éducation catholique entreprise et de l’améliorer. La province de la Nouvelle-Orléans s’est mise en frais de préparer des partenaires laïques pour l’œuvre d’éducation catholique depuis plus de trente ans maintenant.

7. Le thème de notre prochain chapitre général (notre 35e) : «Un appel à la mission prophétique» me semble signaler que nous devons retrouver notre caractère prophétique. Comme le Père Coindre a tenté de le faire, notre caractère prophétique doit nous faire découvrir une voie, une issue, afin que nous répondions à des besoins urgents et évidents; il nous faut exercer un ministère qui nous fasse accéder à un autre niveau de prise de conscience et de vision spirituelle.

8. Quelques traits de la vie religieuse aujourd’hui :

- Prière partagée.
- Discernement spirituel communautaire.
- Participation à un ministère.
- Disponibilité innovatrice.
- Importance accordée aux relations.

9. Le plan de match d’aujourd’hui : refonder la vie religieuse. Pourquoi? Nous ne vivons plus dans un contexte de fondation; on ne perçoit plus tel besoin comme urgent. L’aspect prophétique qui est à l’origine d’une fondation n’est plus du tout là.

Voilà! Je serais heureux de poursuivre cet échange si quelqu’un le voulait bien.

Frère Marcel Rivière, S.C.
____________________________

Curriculum vitae de Marcel Rivière
Frère Marcel Rivière est originaire Thibodeau en Louisiane,
Son parcours est semblable à celui de tout Frère du Sacré-Cooeur de la première province communautaire en Amérique. (Province d'Amérique - 1847 - Province des États-Unis, 1900 - Province de New Orleans 1960) Peu de temps après son noviciat et ses premières années d'enseignement on lui confie la charge de Maître des Scolastiques.
En 1958 Il fait partie du premier groupe d'étudiants à Jesus Magister -  Après trois ans d’études à Jesus Magister, Frère Marcel devint maître des scolastiques de la province New Orleans, poste qu’il occupa jusqu’en 1970. Il fut alors élu Assistant-Général à Rome, charge qu’il occupera pendant dix-huit ans (1970-1988).

À la fin de son mandat comme Assistant, il prend la direction de la communauté de Baie St-Louis, Mississipi rattachée au High School St. Stanislas. En 1993 il est le fondateur et le directeur du Centre international André-Coindre (CIAC) à Lyon en France. De 2003 à 2005 il demeure dans la maison de retraite de Bay St. Louis. Lorsque la maison fut détruite par l’ouragan Katrina, en 2005, il se rend en Arizona où il occupe l’école originale construite en 1902 par St. Catherine Drexel dans la réserve de Navajo avec deux autres confrères qui enseignent à l’école indienne St. Michael.

dimanche 10 juillet 2011

Regards sur l'AVENTURE FSC - Hier - Aujourd'hui - Demain

par Frère Raymond Barbe S. C.
_______________________________



REGARDS SUR HIER 
J’ai l’impression qu’alors on croyait « penser tout clairement et que, pour le dire, les mots arrivaient aisément»!

Tant dans nos Règles que dans notre Catéchisme des Vœux, il semblait bien que la vie religieuse était, avant tout, une affaire de renoncement, d’abnégation, de sacrifice, de séparation : « Plus c’était dur, meilleur c’était! » « Fais ce que dois, et ne jouis pas trop! » C’était d’ailleurs aussi l’atmosphère de la vie dans l’Église : des lois à respecter, des engagements à observer, des renoncements à s’imposer. L’acte d’humilité qu’on apprenait et récitait alors était clair :

Mon dieu,
je ne suis que cendre et poussière;
réprimez les mouvements d’orgueil
qui s’élèvent dans mon âme.
Apprenez-moi à me mépriser moi-même,
Vous qui résistez aux superbes
et donnez votre grâce aux humbles!

Dans notre vie religieuse d’alors, la prière se présentait davantage comme un rite strict à observer que comme un temps heureux de rencontre et de bonne respiration; la vie commune, comme une occasion favorable de confrontation; le vœu de pauvreté, comme une affaire strictement d’argent et de permissions à demander; le vœu de chasteté, comme un regard négatif et hostile sur tout ce qui est chair et sexe; le vœu d’obéissance, comme un assujettissement et une dépendance totale. Quant à la mission, elle était toute centrée sur l’école.

II – REGARD SUR AUJOURD’HUI.-

Des facteurs ont contribué à faire évoluer bien des visions et des manières de comprendre et de vivre les réalités de la vie religieuse tous horizons. Parmi ces facteurs, il faut, bien sûr, citer le Concile Vatican II qui a provoqué une ouverture d’esprit plus grande, les derniers Chapitres Généraux de l’Institut qui ont suscité une vision renouvelée de notre Règle de Vie et de nos engagements dans le milieu.

Ainsi, les « exercices de piété » sont devenus des « rencontres animées » de prière commune; la pauvreté « matérielle » a fait plus de place à la « pauvreté de cœur », dont Jésus dit qu’elle est bienheureuse; la « chasteté consacrée » ne veut plus être un regard méprisant et combattif sur la chair et le sexe, d’ailleurs aussi voulus de Dieu; le vœu d’obéissance ne veut plus être un simple assujettissement silencieux mais une « collaboration empressée et généreuse » à la réalisation des désirs de Dieu. Quant à la mission, elle se diversifie davantage selon les besoins rencontrés, et les dons de chacun.

III – REGARD SUR DEMAIN.-

Y a-t-il encore un avenir pour nous? Que sera-t-il? Que ferons-nous pour y faire face?

C’est sûr que ces questions s’imposent, étant donné notre vécu actuel. En tout cas, ici, au Canada : nous ne sommes plus dans les écoles; nos effectifs diminuent; il n’y a pratiquement plus de relève. C’est surtout au niveau de la mission que les trois questions ci-dessus sont bonnes : Y a-t-il un avenir? Lequel? Que faire? Il se peut que cet avenir inconnu et à découvrir ait un impact, même heureux, sur les autres dimensions : prière, engagements consacrés, vie commune.

Personnellement, je crois que nous pouvons faire face à un essor nouveau et heureux. Si vous me demandez de préciser notre charisme de fondation, je vous dirai sans hésiter : « Croire en l’amour, en vivre et le répandre! » Notre Règle de Vie ne dit-elle pas « qu’être Frère du Sacré-Cœur, c’est croire en l’Amour de Dieu, en vivre et le répandre »?

Et pour moi, tel était bien le charisme d’André Coindre. Il l’a montré clairement et solidement. Je me plais parfois à penser, avec un peu d’humour, que s’il venait nous rencontrer, il nous dirait :

« Je trouve que vous avez parfois les deux pieds dans la même bottine! Allez donc de l’avant! N’ayez pas peur de faire du neuf! Regardez autour : les besoins sont nombreux! On a encore besoin de vous! Moi, je compte sur vous! Je ne dis pas que vous êtes éternels, mais vous n‘êtes pas encore morts! »

Raymond Barbe, s.c.

CURRICULUM VITAE
Entrée au juvénat: 1941 à l"âge de 13 ans
Première profession: 1944
Première obédience: 1946, professeur au juvénat
Haïti: 1954 à 1977
Maïtre des juvénistes: 1955-1959
Maïtre des novices et scolastiques: 1959-1965
Ordination sacerdotale: 1971 (40 ans cette année)
Retour au Québec:
Cours à Ottawa: relation d'aide aux individus et aux couples: 2 ans
Curé à St-Jérôme, puis à Ste-Anne-des-Plaines: 6 ans.
Aumônier au Mont-Sacré-Coeur: 8 ans et ça continue
Cursillo: animateur spirituel diocésain (St-Hyacinthe); 15 ans

jeudi 7 juillet 2011

La grande décision - par Monique Picard

Profil de Monique Picard






Monique Picard est née à Malachie de Dorchester en mai 1932.

Elle fait une partie de son cours primaire à St-Anselme de Beauce et une autre à l’Orphelinat de Rouyn.

Elle fait son cours secondaire à Hull et à Ottawa et obtient, en 1964 ,un grade de technicienne médicale.

Elle prononce ses premiers vœux chez les Sœurs Grises d’Ottawa en 1953 et ses vœux perpétuels en 1956.



Avec sept de ses compagnes elle quitte la communauté des Sœurs Grises en 1971.Elle exerce alors la profession d’infirmière.



En 1972, elle épouse Jean Grondin, un ex Frère du Sacré-Cœur qu décède du cancer en 1999. Le couple adopte trois enfants : Guy, Francine et Serge.





En 1974 elle prend la direction des soins hospitaliers de l’hôpital St-Charles de Joliette, En 1988, elle est chargée de l’inspection professionnelle pour l’Ordre des infirmières du Québec et du Conseil canadien d’Agrément des Établissements de Santé.



Monique s’est impliquée socialement comme mairesse de Ste-Marcelline et comme militante dans le Parti Québécois de Joliette dont elle deviendra la présidente.

+++++++++++++++++++++++





LA GRANDE DÉCISION



Monique nous raconte comment elle en est venue à quitter sa communaut.



Septembre 1966.



J'arrive au Couvent de la rue Rideau d'Ottawa tenu par les Soeurs de la Charité d'Ottawa (Soeurs Grises), afin d'y demeurer pendant que j'étudie à l'Université d'Ottawa dans le but d'obtenir mon baccalauréat en sciences infirmières. Je vivrai ici quatre années. C'est un très grand jour pour moi, car il y a longtemps que je désire faire ces études.



Je suis habillée comme toutes les religieuses du Couvent, car depuis 1951 je suis une Soeur de la Charité d'Ottawa.



Après un an de postulat et un an de noviciat, je suis envoyée en mission au Sanatorium St-Laurent de Hull comme responsable des Laboratoires, compte tenu de mes quatre années d'expérience dans le domaine. N'ayant que ma 9e année d'études, je m'empresse tout en travaillant de poursuivre mes études de 11e et 12e année du Québec, ainsi que la 13e année d'Ontario. Après ces six ans de surmenage, je me retrouve hospitalisée à mon tour pendant un an au Sanatorium St-Laurent souffrant de pleurésie. Ce fut une année pénible mais en même temps enrichissante pour moi. Les longues heures de réflexion et de lecture m'ont appris a dire ``NON `` aux exigences exagérées de mes supérieures et de moi-même.



J'ai appris à mener une vie plus équilibrée.



Après un an et demi de convalescence, j'entre à l'École de Technologie Médicale de l'Hôpital General d'Ottawa pour deux ans. J'aurais préféré faire mon cours d'infirmière mais la communauté avait besoin de mes services dans ce domaine. Heureusement qu'après mon cours, je suis envoyée en mission dans le petit Hôpital de Buckingham où je côtoie davantage les malades.



Pendant mon passage a l'Hôpital Général d'Ottawa, j'ai eu la grande chance de vivre près de la Directrice de l'École des infirmières de l'Université d'Ottawa qui a bien compris mon désir de devenir infirmière. Elle a convaincu mes Supérieures que je servirais mieux la communauté en étant infirmière.



Au cours de ma vie, au moment ou j'avais besoin d'une personne compréhensive, empathique et chaleureuse, je trouvais cette personne à mes côtés, et souvent c'était une religieuse. J'ai perdu ma mère à quatre ans. Mon père était convaincu que c'était les religieuses qui pouvaient le mieux éduquer ses trois filles. J'ai donc été pensionnaire pendant dix ans chez des religieuses. J'y ai vécu des années de bonheur. Malheureusement, lors de mes 14 ans mon père se remarie et ma belle-mère m'oblige à aller travailler à l'Hôpital d'Youville de Noranda au lieu de continuer mes études. Là aussi, une religieuse me sort de mon emploi de femme de ménage pour me donner un emploi plus valorisant de technicienne en laboratoire. Ces religieuses ont sans doute influencé ma décision d'entrer en religion en 1951.



En septembre 1966, je me retrouve étudiante à l'Université d'Ottawa tout en demeurant au Couvent, de la rue Rideau. Ces quatre années d'études furent des années décisives dans ma vie.



De 1960 à 1970 le Québec et l’Église connurent de grands bouleversements : la Révolution tranquille et le concile de Vatican 2.



J'ai eu la chance de vivre dans un milieu d'avant-garde avec, entre autres,

sept compagnes avec qui je participais chaque semaine à des échanges sur notre vécu dans ce monde de changements. Notre animatrice était une compagne professeur de théologie à l'Université St-Paul d'Ottawa et notre aumônier était directeur du Centre Novalis à Ottawa. De plus, à l'Université j'entendais les commentaires et les critiques de mes compagnes d'étude laïques sur l'Église et les communautés religieuses. La réalité nous ``pétait`` dans la figure. Impossible de faire l'autruche. Les railleries nous forçaient à prendre conscience de la réalité. Nous sentions l'agressivité monter envers les religieuses et l'Église.



Progressivement , nous en sommes venues à la certitude ``qu'il valait mieux opter pour la vie que pour la mort``, parce que nous croyions que notre communauté se dirigeait vers une mort lente.



Mais avant de prendre la grande décision, nous avons décidé d'aller aux sources. Nous avons donc demandé au Conseil Général de la communauté de nous recevoir pour discuter de la situation actuelle. Le Conseil nous a reçues et écoutées mais avec méfiance. Par la suite nous avons été considérées comme des ``rebelles`` qu'il fallait séparer les unes des autres. Moi, ayant terminé mes quatre années d'études, je fus envoyée ``en prison`` à la Maison Provinciale pour avoir soin des religieuses âgées.



Comme je demeurais convaincue alors que la meilleure décision était de quitter la communauté, je demandai une exclaustration, c'est-à-dire que j'allais vivre pour un temps dans une autre communauté religieuse. Ce que j'ai obtenu immédiatement. Les Soeurs Ste-Croix de Hull m'ont accueillie chaleureusement. J'y ai vécu trois mois pendant que je travaillais comme infirmière chef d'équipe à l'Hôpital Pierre Janet de Hull. Ma conviction étant toujours la même, je demandai d'être relevée de mes voeux, ce que j'ai obtenu sans difficulté. Mes sept compagnes du couvent de la rue Rideau firent de même.



Pendant ces années de grands bouleversements dans ma vie personnelle et communautaire, la société Québécoise vivait la Révolution tranquille. Pour essayer de mieux comprendre cette révolution ainsi que son influence sur les communautés religieuses féminines, faisons un brin d'histoire.



``Au milieu du 19e siècle le Québec sort d'une période sombre. La défaite des Patriotes et la proclamation de l'Union du Haut et du Bas-Canada entraînent un affaiblissement de l'élite politique de la société canadienne-française. Ces événements ont des conséquences sur la vie des femmes. La plus importante est sans doute la cléricalisation de la société Québécoise qui s'installe dans la foulée de ces événements et qui amène avec elle un encadrement de la vie des femmes, parfois jusque dans leur intimité. En revanche, en prenant en charge le champ de l'enseignement et des services sociaux , l'Église catholique favorise la fondation et le développement de nombreuses communautés religieuses féminines qui permettront non seulement d'offrir toute une gamme de services à la population, mais qui offriront aussi l'occasion à des femmes de mettre en valeur leurs talents et d'apporter une immense contribution à la société Québécoise.``

(Oeuvres de femmes 1860-1961,Lucie Desrochers, les Publications du Quebec, 2003,Préface page X.)



650 femmes portent le voile au Québec en 1850, tandis qu'en 1960 elles sont 35,073. Cette période est l'âge d'or des communautés religieuses féminines au Québec. La Révolution tranquille a sabré dans la cléricalisation de la société Québécoise. Les communautés religieuses féminines pensaient que la Révolution tranquille se ferait avec elles. Au contraire elle s'est faite sans elles. Partout, elles sont évincées des postes de commande .



Pourquoi les religieuses ont elles été évincées par le Gouvernement du Québec des postes de commande lors de la Révolution tranquille ? Est-ce que le Gouvernement du Québec voulait tourner la page à la cléricalisation de la société Québécoise qui a commencé à se faire au milieu du 19e siècle ?



1850 a 1960 : la société québécoise a vécu un siècle de cléricalisation. Étant donné que cette cléricalisation a commencé à cause de la faiblesse des politiciens du temps, faut-il s'étonner qu'en 1960, temps où le Québec avait des politiciens chevronnés, que ces politiciens veuillent mettre fin à cette cléricalisation ?



Est-ce que l'Église catholique a pris une bonne décision en comblant ce vide politique ? A la Révolution tranquille un grand nombre de religieuses se sont retrouvées à 40 ans au plus à refaire leur vie comme laïque dans la société, parce que l'avenir des communautés religieuses ne correspondait plus à leurs aspirations.



Est-ce que la population québécoise aurait reçu une aussi bonne éducation, d'aussi bon soins aux malades et une aide aussi précieuse aux démunis de notre société, si l'Église catholique n'avait pas comblé ce vide politique ?



Monique Picard

Demande d'indult de sécularisation

Le 17 juin 1971, je demandais au Saint-Siège d'être libéré des eengagements pris envers ma communauté lors de ma profession perpétuelle, le 11 juillet 1952. En voici le texte.





Mes origines asbestriennes

par Jean-Guy LeGault
____________________________________


Le 5 mai 1940, je naissais à Asbestos, petite ville minière des Cantons-de-l'Est. À l'époque, il n'y avait qu'une seule paroisse, Saint-Aimé-de-Shipton.
Comme je suis né un dimanche, je fus baptisé le jour même. J'étais l'aîné de la famille.

Actuellement, la municipalité d'Asbestos compte 7000 habitants. La population a déjà atteint 12 000 h. On connait surtout Asbestos pour son puits minier. Dès 1879, on découvre l'existence de l'amiante et deux ans plus tard, William Jeffrey en commence l'exploitation. De nos jours, grâce à un poste d'observation, on peut contempler le puits profond de 350 mètres et de 2 km de diamètre. On peut aussi visiter le camp musical, dans le secteur Trois-Lacs ainsi que le Musée minéralogique et d'histoire minière. On y trouve également un centre hospitalier régional ainsi qu'un golf réputé en temps que parcours de championnat.

Lionel, mon père

Lionel naquit le 18 juillet 1911 à Sainte-Scholastique, comté des Deux-Montagnes, dans les Basses-Laurentides. Cette municipalité fait aujourd’hui partie de la ville de Mirabel. C’est dans le rang de la Côte-Saint-Louis que ses parents Joseph Legault et Alphonsine Lacroix habitaient lors de la naissance de leur huitième enfant. Trois garçons et quatre filles l’avaient précédé: Orphilia, Adélina, Maxime, Rosario, Hector (décédé à bas âge), Germaine et Marie-Jeanne. Cinq autres frères lui succéderont: Bernard, Germain, Marcel, Marius et Edmour. Joseph, son père, était cultivateur. Mais, dit-on, ce ne fut pas toujours le cas. Il avait été cuisinier dans les chantiers dans les débuts de son mariage. Sa mère Alphonsine, malgré une santé précaire, avait suffisamment à faire: nourrir, habiller et voir à l’éducation de sa nombreuse famille.

Joseph décide de venir s’installer dans les Cantons-de-l’Est afin de pouvoir établir plus facilement ses fils. C’est ainsi qu’il résidera dans le Deuxième rang de Wottonville, près d’Asbestos. Plus tard, il achètera la terre voisine pour établir son premier fils, Maxime. Il cédera ensuite la sienne à son fils Bernard. Lionel fréquentera l’école de rang jusque vers l’âge de 10 ans. Il quittera l’école pour aider aux travaux de la ferme. Cependant, il ne le fera pas avant d’avoir marché au catéchisme et d’avoir fait sa communion solennelle. On raconte que Lionel était vaillant à la tâche et était toujours prêt à rendre service. Si l’un de ses parents demandait un service à un plus jeune et que celui-ci ne bougeait pas, il bondissait aussitôt pour répondre à la demande. Un jour, ses jeunes frères espiègles lui jouèrent un vilain tour. «Qui sera le premier rendu à la grange?», demanda l’un d’eux. Tous s’élancent vers la grange. Lionel, en tête, ne remarque pas le fil de fer tendu entre deux poteaux. Il tombe aussitôt à la renverse, la tête sur une roche. Il a fait de la fièvre et a déparlé toute la nuit.

Le temps passe… Lionel a 15 ans. Il est temps qu’il gagne sa vie. Il passera quelques temps à St. Johnsbury au Vermont où il sera livreur de pain avec son frère Rosario, chez un boulanger. C’est sans doute à cet endroit qu’il apprendra ses quelques mots d’anglais. Puis, de 1927 à 1936, c’est à Saint-Placide, dans le comté des Deux-Montagnes, qu’il exercera le métier d’homme à tout faire sur la ferme de l’un de ses oncles Lalande. Logé, nourri, il travaillera pour presque rien. Plus tard, ses gages atteindront peut-être 30$ par mois. Debout dès 4h du matin avec la barre du jour, il «fait le train» et nourrit les animaux avant le déjeuner. Quant il labourait ou hersait, on dit qu’il chantait toujours. Même ses voisines et voisins remarquèrent sa bonne humeur. Il avait trois patrons à satisfaire, le père de famille et ses deux frères, des vieux garçons. Il nous a déjà parlé de son oncle Pierre.

En 1936, son cousin Robert Legault, qui avait déjà épousé Cécile Gauthier (ma tante Cécilia), lui présenta la sœur de cette dernière, Dolorès. Il faut croire que le coup de foudre fut rapide car il décida qu’avec 30$ par mois, il ne réussirait pas à faire vivre une femme et une famille. L’un de ses frères l’informa que la Canadian John’s-Manville avait besoin de journaliers pour travailler sur la «track» à l’hiver 1936-37. Il déménagea donc ses pénates chez sa sœur Germaine et son beau-frère Eddy Chartier, sur la rue Saint-Joseph à Asbestos. Il continua donc ses fréquentations, forcément espacées car, à cette époque, on travaillait six jours par semaine et les routes n’étaient pas aussi rapides qu'aujourd’hui. On raconte qu’au mois de mai 1937 Lionel allait faire ses dévotions à l’église Saint-Aimé; probablement qu’il allait au mois de Marie. Un soir, une jeune fille de l’endroit le remarqua et lui demanda s’il ne serait pas intéressé à sortir avec elle. Il lui répondit qu’il avait déjà une bien-aimée dans le coin des Deux-Montagnes; cependant, ajouta-t-il, je pourrais te présenter à mon frère Marcel. Elle devint notre tante Léonie.

DOLORÈS, ma mère.

Dolorès naquit le 9 mars 1916 à Saint-Benoît, comté des Deux-Montagnes, dans les Basses-Laurentides. Cette municipalité fait maintenant partie de la ville de Mirabel. Ses parents Joseph Gauthier et Marie-Anne Filion habitaient dans le rang Saint-Joachim depuis 1907. Dolorès était la huitième enfant de la famille. Six garçons et une fille l'avaient précédée: Patrick, Edouard, Philippe, Cécile, Léopold (décédé à l'âge de 5 ans), Donat et Euclide. Deux de ses frères lui succédèrent: Doris et Harris. De plus, son père Joseph et Alexandrine Girard qu'il épousa en deuxièmes noces, lui donnèrent deux demi-frères: Jean-Paul (décédé à bas âge) et Maurice. Joseph Gauthier était cultivateur et occupa la maison du rang Saint-Joachim durant 42 ans. Sa mère, Marie-Anne, qui avait été institutrice durant quelques années avant son mariage, s'occupa de sa maisonnée durant les 16 années de mariage du couple. C'est là également qu'elle est décédée, au seuil de ses 41 ans. Ma mère Dolorès n'avait que quatre ans.

Dès l'âge de six ans, Dolorès fréquenta l'école du rang Saint-Joachim, dans la paroisse de Saint-Benoît. À l'époque, on débutait le primaire en fréquentant la classe dite Prépatoire, qui correspondait un peu à la Maternelle actuelle. Elle y compléta ensuite les cinq premières années du cours primaire. Puis, elle se retira de l'école afin d'aider sa belle-mère et sa sœur à tenir maison et aider aux travaux de la ferme. À l'époque, on devait préparer le pain maison en utilisant un four extérieur, faire des conserves avec les récoltes du jardin, faire la lessive manuellement car il n'y avait pas d'électricité, ni d'eau courante.

Dolorès et Lionel se marièrent, en l'église de la paroisse Saint-Benoît-des-Deux-Montagnes, le 7 mai 1838. On raconte qu'après la cérémonie religieuse et la réception à la maison de ferme du rang Saint-Joachim, Lionel et Dolorès entreprirent leur voyage de noces. Il a consisté à faire le trajet entre Saint-Benoît-des-Deux-Montagnes et Asbestos, dans les Cantons-de-l'Est. La distance à parcourir était d'environ 125 milles. Mais il fallait passer par Sherbrooke et emprunter de petites routes. On a dû réparer deux crevaisons en cours de route. La voiture Ford était conduite par le frère de papa, notre oncle Maximilien. Grand-père Joseph Legault prenait place à l'avant, du côté passager. À l'arrière, assis sur une paillasse (un matelas de paille), prenaient place les deux jeunes tourtereaux, Dolorès et Lionel. Grosse journée, en effet !

La première année passée à Asbestos, le couple cohabita en appartement chez Germaine et Eddy Chartier. Ce n'est qu'à l'été suivant qu'ils réussirent à trouver un loyer pour eux deux: le 40, rue Saint-Joseph, propriété de monsieur Zacharie Fréchette. Quelques années plus tard, la ville changea le numéro civique pour le 146. C'est là que naquirent, dans un grand 3 ½, Jean-Guy, Lise, Huguette et Denis. Dolorès et Lionel aimaient recevoir de la visite. On raconte qu'un certain été, ils avaient reçu de la parenté de Montréal durant plusieurs fins de semaine de suite.

Maman Dolorès savait gâter chacun de ses enfants. Bonne cuisinière, bonne couturière, elle avait aussi le don de nous faire plaisir. Un bon mot d'encouragement, un travail effacé, un dévouement sans relâche, c'était notre mère. Je ne l'ai jamais vue de mauvaise humeur.

On déménage... au 334, rue Saint-Jean-Baptiste, Asbestos

À l'été 1950, un an après la grève de l'amiante, Dolorès et Lionel décident de se faire bâtir un nouveau domicile au nord de la ville, tout près du parc Dollard. Le contrat a été accordé à un entrepreneur dénommé Bernier, assisté d'un monsieur Chouinard et d'un troisième employé. À eux trois, ils bâtiront en alternance trois maisons au cours de l'été. Lionel dessinera lui-même les plans de sa nouvelle maison: trois chambres à coucher, salon, cuisine, dépenses, salle de bain. À l'étage, on pourra plus tard ajouter deux chambres dans une partie du vaste grenier.

Lorsque fut venu le temps de couler le solage, une vingtaine d'hommes sont venus un samedi matin pour brouetter le ciment livré par un Ready-Mix. Lionel avait fait de même lors de corvées chez des compagnons de travail. Pendant la construction, comme les employés étaient payés à l'heure, Lionel invita son père Joseph à venir superviser les travaux. Venu de Drummondville, il logeait à la maison. Tous les matins, dès 6h45, il partait avec son lunch pour le chantier. Je l'ai accompagné à plusieurs reprises. C'est monsieur Chouinard qui nous prenait en passant avec sa Ford noire. J'y retournais souvent le soir après le souper avec Lionel. Il en profitait pour faire avancer les travaux moins spécialisés. Je me souviens de l'avoir aidé à faire le plancher du grenier. Il devait aussi, sans voiture, voir à l'achat des matériaux de construction, contacter les sous-traitants, payer le matériel et les employés.

Le déménagement se fit par étapes. Quand portes et fenêtres furent installés, maman regroupait plusieurs petites choses qu'on transportait chaque soir avec la petite voiture à quatre roues. On déposait ces choses dans le grenier jusqu'à la fin des travaux. Début octobre, on loua un camion pour déménager les gros meubles. Oncle Marcel et d'autres amis de la famille sont venus nous donner un coup de main. On déposa les vêtements dans une «bassinette». Nous possédions à l'époque un beau poêle à bois sur pattes, avec réservoir d'eau chaude incorporé. Aujourd'hui, il vaudrait une fortune. Comme il n'aurait pas cadré avec notre nouvelle cuisine, papa acheta une nouvelle cuisinière électrique. L'ancien a trouvé preneur pour 25$. Nous n'avions pas non plus de réfrigérateur. Quelques mois plus tard, on en acheta un de marque Fridigaire, un neuf pieds cubes. Nous avions acheté également une polisseuse bien avant la balayeuse électrique. Chaque dimanche matin, papa s'empressait de faire reluire le «prélard» de la cuisine.

J'ai habité à temps complet au 334 de 1950 à 1952. J'étais fier de pouvoir occuper une chambre plus tranquille, où je pouvais faire mes travaux scolaires. J'y avais mon grand lit et Denis, plus jeune, un plus petit. Si Lise et Huguette pouvaient fréquenter l'école Saint-Joseph située tout près, sur la rue voisine, pour ma part, je devais me rendre à pied à l'école Saint-Aimé. Je mettais environ 15 minutes, quatre fois par jour pour ce faire. J'ai souvenance d'être déjà allé cueillir des framboises avec Lionel dans les champs environnants. Aussi, en décembre, nous allions couper notre sapin de Noël sur la terre à Simoneau. Francine s'ajoute à la famille le premier mars 1951. Elle est née à la maison avec l'aide du docteur Letendre et de madame Olivier, sage femme. Puis ce fut le tour de Claudette, née à l'hôpital, le 16 août 1952. Nous étions fiers de notre belle maison en brique rouge. Elle était toujours accueillante et on pouvait toujours s'y réfugier le moment venu. Tout cela, c'est sans doute grâce à l'accueil de Dolorès et de Lionel. Yvon en 1956 et Mario en 1957 viendront plus tard compléter la famille.

Quelques mots sur ces années de mon enfance

La vie bat son plein à «La Mine», comme on appelait Asbestos à l'époque. J'ai gardé quelques souvenirs de mes jeunes années. Mes premières années au 146, rue Saint-Joseph furent marquées par la religion, la famille et les loisirs de l'époque.

Mon parents étaient très religieux; mon père surtout... Les dimanches, on faisait deux visites à l'église, une l'avant-midi pour la messe et une autre après le souper pour aller aux vêpres, suivies du chapelet récité par le curé. Parfois, en été, on ajoutait un chemin de croix en début d'après-midi. À cela, il faut mentionner l'abstinence du vendredi, le jeûne du Carême, le mois de Marie, les trois messes de minuit à Noël ainsi que la bénédiction paternelle du Jour de l'An, d'abord par grand-père Legault, puis par notre père Lionel.

La famille était tissée serrée. Chez mon père, on comptait 12 familles et chez ma mère, 10. On recevait beaucoup à la maison et on se visitait également. Les Legault demeuraient plus près; sept ou huit familles demeuraient à Wotton ou à Asbestos; les autres pas très loin. Quant aux Gauthier, ils étaient tous de la région d'Argenteuil--Deux-Montagnes. On les visitait chaque année, fin-juin début-juillet, lors des vacances annuelles de mon père. Ils venaient nous voir chacun leur tour. On était bien «recevant», comme on disait à l'époque.

Durant le temps des Fêtes, les soirées étaient animées par des chansons à répondre. De mémoire, j'en cite quelques-unes: Lève ton pied; Bonhomme, Bonhomme; C'est comme ça qu'ça se passe; La destinée, la rose au bois; Ah! Les fraises et les framboises; Ils ont des chapeaux ronds; Je m'en vais à l'écurie; Marie Calumet, Mon merle; Le p'tit avocat; L'temps du Jour de l'An; Son voile qui volait; etc.

Les loisirs se passaient principalement en famille. Plus jeunes, papa nous fabriquait lui-même nos jouets: petit cheval avec charrette, traineaux, bassinette pour poupée, planche à repasser, pour n'en nommer que quelques-uns. Les jeux de société: clue, monopoly, mille bornes, parchési, barreau, échelles et serpents et les jeux de cartes: le 500, le romain, le trou-de-cul, etc occupaient après-midis et soirées d'hiver.

Vers l'âge de 9 ans, durant l'été, nous pouvions participer aux activités du parc municipal, offertes par l'œuvre des terrains de jeux (OTJ). Les lundis, mercredis et vendredis étaient réservés aux garçons et les mardis et jeudis, aux filles. Vers 8h30, nous nous y rendions avec notre lunch. La journée commençait par un mot de bienvenue du grand-chef, suivi de la levée du drapeau et du chant de l'hymne national. Nous étions répartis en équipes selon notre groupe d'âge. Plusieurs activités occupaient nos journées, en plus des grands jeux et de la baignade, on participait aux jeux de poches, aux jeux d'anneaux, à la balle molle, etc. Vers 11h, tous les jeunes se regroupaient dans une pente, sous les arbres, pour la «grande histoire» et le chant. Cette animation était souvent sous la responsabilité de séminaristes. Au dîner, on venait nous livrer un bon lait au chocolat, un «Vico», comme on disait à l'époque. L'après-midi passait rapidement avec d'autres activités et une deuxième baignade.

Au parc Dollard, on avait installé plusieurs appareils de jeu dont les balançoires, les bascules, les glissoires, les bacs de sable, les échelles fixes ou volantes, les tourniquets et les vagues-de-mer. Vers 1950, on construisit une grande piscine, très appréciée des «otéjistes». Les années précédentes, on devait prendre place dans la boite d'un camion pour se rendre à une plage des Trois-Lacs. Les normes de sécurité, à cette époque, laissaient beaucoup à désirer.

En guise de conclusion...

De ma naissance à mon départ pour le collège, douze belles années se sont écoulées à Asbestos, au sein d'une famille heureuse. J'y retournerai à plusieurs reprises jusqu'au décès de Lionel en 1992 et de Dolorès, en 1994. Ils reposent au cimetière d'Asbestos avec leur fils Yvon, décédé en 1958, à l'âge de 5 mois et demi. Cette année, on commémorera le centenaire de la naissance de mon père, Lionel, né le 18 juillet 1911. Avec son épouse Dolorès, sa descendance compte huit enfants, 14 petits-enfants et 20 arrière-petits-enfants.

Jean-Guy LeGault
juin 2011