jeudi 7 juillet 2011

Mes origines asbestriennes

par Jean-Guy LeGault
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Le 5 mai 1940, je naissais à Asbestos, petite ville minière des Cantons-de-l'Est. À l'époque, il n'y avait qu'une seule paroisse, Saint-Aimé-de-Shipton.
Comme je suis né un dimanche, je fus baptisé le jour même. J'étais l'aîné de la famille.

Actuellement, la municipalité d'Asbestos compte 7000 habitants. La population a déjà atteint 12 000 h. On connait surtout Asbestos pour son puits minier. Dès 1879, on découvre l'existence de l'amiante et deux ans plus tard, William Jeffrey en commence l'exploitation. De nos jours, grâce à un poste d'observation, on peut contempler le puits profond de 350 mètres et de 2 km de diamètre. On peut aussi visiter le camp musical, dans le secteur Trois-Lacs ainsi que le Musée minéralogique et d'histoire minière. On y trouve également un centre hospitalier régional ainsi qu'un golf réputé en temps que parcours de championnat.

Lionel, mon père

Lionel naquit le 18 juillet 1911 à Sainte-Scholastique, comté des Deux-Montagnes, dans les Basses-Laurentides. Cette municipalité fait aujourd’hui partie de la ville de Mirabel. C’est dans le rang de la Côte-Saint-Louis que ses parents Joseph Legault et Alphonsine Lacroix habitaient lors de la naissance de leur huitième enfant. Trois garçons et quatre filles l’avaient précédé: Orphilia, Adélina, Maxime, Rosario, Hector (décédé à bas âge), Germaine et Marie-Jeanne. Cinq autres frères lui succéderont: Bernard, Germain, Marcel, Marius et Edmour. Joseph, son père, était cultivateur. Mais, dit-on, ce ne fut pas toujours le cas. Il avait été cuisinier dans les chantiers dans les débuts de son mariage. Sa mère Alphonsine, malgré une santé précaire, avait suffisamment à faire: nourrir, habiller et voir à l’éducation de sa nombreuse famille.

Joseph décide de venir s’installer dans les Cantons-de-l’Est afin de pouvoir établir plus facilement ses fils. C’est ainsi qu’il résidera dans le Deuxième rang de Wottonville, près d’Asbestos. Plus tard, il achètera la terre voisine pour établir son premier fils, Maxime. Il cédera ensuite la sienne à son fils Bernard. Lionel fréquentera l’école de rang jusque vers l’âge de 10 ans. Il quittera l’école pour aider aux travaux de la ferme. Cependant, il ne le fera pas avant d’avoir marché au catéchisme et d’avoir fait sa communion solennelle. On raconte que Lionel était vaillant à la tâche et était toujours prêt à rendre service. Si l’un de ses parents demandait un service à un plus jeune et que celui-ci ne bougeait pas, il bondissait aussitôt pour répondre à la demande. Un jour, ses jeunes frères espiègles lui jouèrent un vilain tour. «Qui sera le premier rendu à la grange?», demanda l’un d’eux. Tous s’élancent vers la grange. Lionel, en tête, ne remarque pas le fil de fer tendu entre deux poteaux. Il tombe aussitôt à la renverse, la tête sur une roche. Il a fait de la fièvre et a déparlé toute la nuit.

Le temps passe… Lionel a 15 ans. Il est temps qu’il gagne sa vie. Il passera quelques temps à St. Johnsbury au Vermont où il sera livreur de pain avec son frère Rosario, chez un boulanger. C’est sans doute à cet endroit qu’il apprendra ses quelques mots d’anglais. Puis, de 1927 à 1936, c’est à Saint-Placide, dans le comté des Deux-Montagnes, qu’il exercera le métier d’homme à tout faire sur la ferme de l’un de ses oncles Lalande. Logé, nourri, il travaillera pour presque rien. Plus tard, ses gages atteindront peut-être 30$ par mois. Debout dès 4h du matin avec la barre du jour, il «fait le train» et nourrit les animaux avant le déjeuner. Quant il labourait ou hersait, on dit qu’il chantait toujours. Même ses voisines et voisins remarquèrent sa bonne humeur. Il avait trois patrons à satisfaire, le père de famille et ses deux frères, des vieux garçons. Il nous a déjà parlé de son oncle Pierre.

En 1936, son cousin Robert Legault, qui avait déjà épousé Cécile Gauthier (ma tante Cécilia), lui présenta la sœur de cette dernière, Dolorès. Il faut croire que le coup de foudre fut rapide car il décida qu’avec 30$ par mois, il ne réussirait pas à faire vivre une femme et une famille. L’un de ses frères l’informa que la Canadian John’s-Manville avait besoin de journaliers pour travailler sur la «track» à l’hiver 1936-37. Il déménagea donc ses pénates chez sa sœur Germaine et son beau-frère Eddy Chartier, sur la rue Saint-Joseph à Asbestos. Il continua donc ses fréquentations, forcément espacées car, à cette époque, on travaillait six jours par semaine et les routes n’étaient pas aussi rapides qu'aujourd’hui. On raconte qu’au mois de mai 1937 Lionel allait faire ses dévotions à l’église Saint-Aimé; probablement qu’il allait au mois de Marie. Un soir, une jeune fille de l’endroit le remarqua et lui demanda s’il ne serait pas intéressé à sortir avec elle. Il lui répondit qu’il avait déjà une bien-aimée dans le coin des Deux-Montagnes; cependant, ajouta-t-il, je pourrais te présenter à mon frère Marcel. Elle devint notre tante Léonie.

DOLORÈS, ma mère.

Dolorès naquit le 9 mars 1916 à Saint-Benoît, comté des Deux-Montagnes, dans les Basses-Laurentides. Cette municipalité fait maintenant partie de la ville de Mirabel. Ses parents Joseph Gauthier et Marie-Anne Filion habitaient dans le rang Saint-Joachim depuis 1907. Dolorès était la huitième enfant de la famille. Six garçons et une fille l'avaient précédée: Patrick, Edouard, Philippe, Cécile, Léopold (décédé à l'âge de 5 ans), Donat et Euclide. Deux de ses frères lui succédèrent: Doris et Harris. De plus, son père Joseph et Alexandrine Girard qu'il épousa en deuxièmes noces, lui donnèrent deux demi-frères: Jean-Paul (décédé à bas âge) et Maurice. Joseph Gauthier était cultivateur et occupa la maison du rang Saint-Joachim durant 42 ans. Sa mère, Marie-Anne, qui avait été institutrice durant quelques années avant son mariage, s'occupa de sa maisonnée durant les 16 années de mariage du couple. C'est là également qu'elle est décédée, au seuil de ses 41 ans. Ma mère Dolorès n'avait que quatre ans.

Dès l'âge de six ans, Dolorès fréquenta l'école du rang Saint-Joachim, dans la paroisse de Saint-Benoît. À l'époque, on débutait le primaire en fréquentant la classe dite Prépatoire, qui correspondait un peu à la Maternelle actuelle. Elle y compléta ensuite les cinq premières années du cours primaire. Puis, elle se retira de l'école afin d'aider sa belle-mère et sa sœur à tenir maison et aider aux travaux de la ferme. À l'époque, on devait préparer le pain maison en utilisant un four extérieur, faire des conserves avec les récoltes du jardin, faire la lessive manuellement car il n'y avait pas d'électricité, ni d'eau courante.

Dolorès et Lionel se marièrent, en l'église de la paroisse Saint-Benoît-des-Deux-Montagnes, le 7 mai 1838. On raconte qu'après la cérémonie religieuse et la réception à la maison de ferme du rang Saint-Joachim, Lionel et Dolorès entreprirent leur voyage de noces. Il a consisté à faire le trajet entre Saint-Benoît-des-Deux-Montagnes et Asbestos, dans les Cantons-de-l'Est. La distance à parcourir était d'environ 125 milles. Mais il fallait passer par Sherbrooke et emprunter de petites routes. On a dû réparer deux crevaisons en cours de route. La voiture Ford était conduite par le frère de papa, notre oncle Maximilien. Grand-père Joseph Legault prenait place à l'avant, du côté passager. À l'arrière, assis sur une paillasse (un matelas de paille), prenaient place les deux jeunes tourtereaux, Dolorès et Lionel. Grosse journée, en effet !

La première année passée à Asbestos, le couple cohabita en appartement chez Germaine et Eddy Chartier. Ce n'est qu'à l'été suivant qu'ils réussirent à trouver un loyer pour eux deux: le 40, rue Saint-Joseph, propriété de monsieur Zacharie Fréchette. Quelques années plus tard, la ville changea le numéro civique pour le 146. C'est là que naquirent, dans un grand 3 ½, Jean-Guy, Lise, Huguette et Denis. Dolorès et Lionel aimaient recevoir de la visite. On raconte qu'un certain été, ils avaient reçu de la parenté de Montréal durant plusieurs fins de semaine de suite.

Maman Dolorès savait gâter chacun de ses enfants. Bonne cuisinière, bonne couturière, elle avait aussi le don de nous faire plaisir. Un bon mot d'encouragement, un travail effacé, un dévouement sans relâche, c'était notre mère. Je ne l'ai jamais vue de mauvaise humeur.

On déménage... au 334, rue Saint-Jean-Baptiste, Asbestos

À l'été 1950, un an après la grève de l'amiante, Dolorès et Lionel décident de se faire bâtir un nouveau domicile au nord de la ville, tout près du parc Dollard. Le contrat a été accordé à un entrepreneur dénommé Bernier, assisté d'un monsieur Chouinard et d'un troisième employé. À eux trois, ils bâtiront en alternance trois maisons au cours de l'été. Lionel dessinera lui-même les plans de sa nouvelle maison: trois chambres à coucher, salon, cuisine, dépenses, salle de bain. À l'étage, on pourra plus tard ajouter deux chambres dans une partie du vaste grenier.

Lorsque fut venu le temps de couler le solage, une vingtaine d'hommes sont venus un samedi matin pour brouetter le ciment livré par un Ready-Mix. Lionel avait fait de même lors de corvées chez des compagnons de travail. Pendant la construction, comme les employés étaient payés à l'heure, Lionel invita son père Joseph à venir superviser les travaux. Venu de Drummondville, il logeait à la maison. Tous les matins, dès 6h45, il partait avec son lunch pour le chantier. Je l'ai accompagné à plusieurs reprises. C'est monsieur Chouinard qui nous prenait en passant avec sa Ford noire. J'y retournais souvent le soir après le souper avec Lionel. Il en profitait pour faire avancer les travaux moins spécialisés. Je me souviens de l'avoir aidé à faire le plancher du grenier. Il devait aussi, sans voiture, voir à l'achat des matériaux de construction, contacter les sous-traitants, payer le matériel et les employés.

Le déménagement se fit par étapes. Quand portes et fenêtres furent installés, maman regroupait plusieurs petites choses qu'on transportait chaque soir avec la petite voiture à quatre roues. On déposait ces choses dans le grenier jusqu'à la fin des travaux. Début octobre, on loua un camion pour déménager les gros meubles. Oncle Marcel et d'autres amis de la famille sont venus nous donner un coup de main. On déposa les vêtements dans une «bassinette». Nous possédions à l'époque un beau poêle à bois sur pattes, avec réservoir d'eau chaude incorporé. Aujourd'hui, il vaudrait une fortune. Comme il n'aurait pas cadré avec notre nouvelle cuisine, papa acheta une nouvelle cuisinière électrique. L'ancien a trouvé preneur pour 25$. Nous n'avions pas non plus de réfrigérateur. Quelques mois plus tard, on en acheta un de marque Fridigaire, un neuf pieds cubes. Nous avions acheté également une polisseuse bien avant la balayeuse électrique. Chaque dimanche matin, papa s'empressait de faire reluire le «prélard» de la cuisine.

J'ai habité à temps complet au 334 de 1950 à 1952. J'étais fier de pouvoir occuper une chambre plus tranquille, où je pouvais faire mes travaux scolaires. J'y avais mon grand lit et Denis, plus jeune, un plus petit. Si Lise et Huguette pouvaient fréquenter l'école Saint-Joseph située tout près, sur la rue voisine, pour ma part, je devais me rendre à pied à l'école Saint-Aimé. Je mettais environ 15 minutes, quatre fois par jour pour ce faire. J'ai souvenance d'être déjà allé cueillir des framboises avec Lionel dans les champs environnants. Aussi, en décembre, nous allions couper notre sapin de Noël sur la terre à Simoneau. Francine s'ajoute à la famille le premier mars 1951. Elle est née à la maison avec l'aide du docteur Letendre et de madame Olivier, sage femme. Puis ce fut le tour de Claudette, née à l'hôpital, le 16 août 1952. Nous étions fiers de notre belle maison en brique rouge. Elle était toujours accueillante et on pouvait toujours s'y réfugier le moment venu. Tout cela, c'est sans doute grâce à l'accueil de Dolorès et de Lionel. Yvon en 1956 et Mario en 1957 viendront plus tard compléter la famille.

Quelques mots sur ces années de mon enfance

La vie bat son plein à «La Mine», comme on appelait Asbestos à l'époque. J'ai gardé quelques souvenirs de mes jeunes années. Mes premières années au 146, rue Saint-Joseph furent marquées par la religion, la famille et les loisirs de l'époque.

Mon parents étaient très religieux; mon père surtout... Les dimanches, on faisait deux visites à l'église, une l'avant-midi pour la messe et une autre après le souper pour aller aux vêpres, suivies du chapelet récité par le curé. Parfois, en été, on ajoutait un chemin de croix en début d'après-midi. À cela, il faut mentionner l'abstinence du vendredi, le jeûne du Carême, le mois de Marie, les trois messes de minuit à Noël ainsi que la bénédiction paternelle du Jour de l'An, d'abord par grand-père Legault, puis par notre père Lionel.

La famille était tissée serrée. Chez mon père, on comptait 12 familles et chez ma mère, 10. On recevait beaucoup à la maison et on se visitait également. Les Legault demeuraient plus près; sept ou huit familles demeuraient à Wotton ou à Asbestos; les autres pas très loin. Quant aux Gauthier, ils étaient tous de la région d'Argenteuil--Deux-Montagnes. On les visitait chaque année, fin-juin début-juillet, lors des vacances annuelles de mon père. Ils venaient nous voir chacun leur tour. On était bien «recevant», comme on disait à l'époque.

Durant le temps des Fêtes, les soirées étaient animées par des chansons à répondre. De mémoire, j'en cite quelques-unes: Lève ton pied; Bonhomme, Bonhomme; C'est comme ça qu'ça se passe; La destinée, la rose au bois; Ah! Les fraises et les framboises; Ils ont des chapeaux ronds; Je m'en vais à l'écurie; Marie Calumet, Mon merle; Le p'tit avocat; L'temps du Jour de l'An; Son voile qui volait; etc.

Les loisirs se passaient principalement en famille. Plus jeunes, papa nous fabriquait lui-même nos jouets: petit cheval avec charrette, traineaux, bassinette pour poupée, planche à repasser, pour n'en nommer que quelques-uns. Les jeux de société: clue, monopoly, mille bornes, parchési, barreau, échelles et serpents et les jeux de cartes: le 500, le romain, le trou-de-cul, etc occupaient après-midis et soirées d'hiver.

Vers l'âge de 9 ans, durant l'été, nous pouvions participer aux activités du parc municipal, offertes par l'œuvre des terrains de jeux (OTJ). Les lundis, mercredis et vendredis étaient réservés aux garçons et les mardis et jeudis, aux filles. Vers 8h30, nous nous y rendions avec notre lunch. La journée commençait par un mot de bienvenue du grand-chef, suivi de la levée du drapeau et du chant de l'hymne national. Nous étions répartis en équipes selon notre groupe d'âge. Plusieurs activités occupaient nos journées, en plus des grands jeux et de la baignade, on participait aux jeux de poches, aux jeux d'anneaux, à la balle molle, etc. Vers 11h, tous les jeunes se regroupaient dans une pente, sous les arbres, pour la «grande histoire» et le chant. Cette animation était souvent sous la responsabilité de séminaristes. Au dîner, on venait nous livrer un bon lait au chocolat, un «Vico», comme on disait à l'époque. L'après-midi passait rapidement avec d'autres activités et une deuxième baignade.

Au parc Dollard, on avait installé plusieurs appareils de jeu dont les balançoires, les bascules, les glissoires, les bacs de sable, les échelles fixes ou volantes, les tourniquets et les vagues-de-mer. Vers 1950, on construisit une grande piscine, très appréciée des «otéjistes». Les années précédentes, on devait prendre place dans la boite d'un camion pour se rendre à une plage des Trois-Lacs. Les normes de sécurité, à cette époque, laissaient beaucoup à désirer.

En guise de conclusion...

De ma naissance à mon départ pour le collège, douze belles années se sont écoulées à Asbestos, au sein d'une famille heureuse. J'y retournerai à plusieurs reprises jusqu'au décès de Lionel en 1992 et de Dolorès, en 1994. Ils reposent au cimetière d'Asbestos avec leur fils Yvon, décédé en 1958, à l'âge de 5 mois et demi. Cette année, on commémorera le centenaire de la naissance de mon père, Lionel, né le 18 juillet 1911. Avec son épouse Dolorès, sa descendance compte huit enfants, 14 petits-enfants et 20 arrière-petits-enfants.

Jean-Guy LeGault
juin 2011


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