lundi 11 juillet 2011

En mission pour la vie - Jusqu’au bout! Une réflexion sur la mission -

par Jean-Guy Roy S. C.(1)
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Ces réflexions de Jean-Guy Roy
ont été publiées dans une revue communautaire
appelée Le Lien
Nous venons de terminer une décennie pour la moins éprouvante. S’il y a une décennie récente qui a secoué quelque peu nos sécurités, c’est bien celle qui vient de s’esquiver tout doucement sous des airs de rigodon et des odeurs de dinde farcie. La grande aventure des Frères du Sacré-Cœur au Canada a connu elle aussi son lot de défis, de souffrances, de succès et de remises en question. Nos frères plus anciens pourraient nous raconter avec moult détails des débats houleux et parfois, avec un regard rétrospectif sur l’histoire, combien fantaisistes à certains égards. C’est notre histoire sainte après tout. Malgré la raréfaction des vocations et le vieillissement de nos effectifs, la générosité est toujours au rendez-vous dans nos rangs. Nous sommes pétris et façonnés pour le service désintéressé, le don oblatif de nos personnes. C’est l’histoire de notre vie, de notre parcours et de notre destinée. Nous sommes des êtres habités et même imbibés jusqu’au fond de notre âme par la générosité, le don de nous-mêmes. Notre engagement religieux s’inscrit dans cette mouvance épanouissante et plus souvent qu’autrement emballante pour qui sait en mesurer la richesse intrinsèque.
En débutant ce propos sur la mission, le refrain d’une chanson de Robert Lebel me monte aux lèvres :
« Jusqu’au bout de la vie, jusqu’au bout de l’amour,
Gardant toujours cette force tranquille
Qui me libère la vie, qui libère l’amour,
Au jour le jour, à force d’Évangile…
Jusqu’au bout! »

Chers confrères, c’est cela la mission! Le Cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal, aime bien redire à l’occasion : « Les sœurs puis les frères, ça meurent deboutte! », en tenue de service. Frères, c’est l’Évangile qui nous tire par en avant, qui chaque matin soulève nos pas devenus quelque peu lourdauds et parfois hésitants au fil des ans. Nous avons été et nous sommes toujours, certes avec moins d’ampleur, de ronflant mais sans moins de pertinence, des artisans signifiants auprès de jeunes et d’adultes en devenir. À chaque jour, des gestes porteurs de sens et de profondeur atteignent par le biais de confrères exceptionnels le cœur de milliers de jeunes et d’adultes qui cherchent, doutent et luttent. À l’extérieur de nos murs, la vie n’est pas toujours un fleuve tranquille, loin de là. Nous sommes parfois pour eux un ami, un confident, un éducateur, une référence et plus souvent qu’autrement un brin d’espoir.

J’ai en mémoire Sœur Estelle Lauzon, sœur de la Providence, assassinée le 13 août 2007 non loin de nos frères de la rue Fullum. J’écrivais dans le journal La Presse ceci: « Sœur Estelle avait 81 ans et s’occupait de réinsertion sociale auprès d’adultes ayant des problèmes psychiatriques ou de dépendance. À son âge, Sœur Estelle aurait pu se reposer bien confortablement après tant d’années de service auprès des démunis. Elle aurait pu visiter les malades ou encore distribuer la communion aux personnes seules comme font plusieurs religieuses âgées. Sœur Estelle était sur le front, auprès de ceux qui souffrent du mal de l'âme, de la désinstitutionalisation de nos centres psychiatriques, de dépendances émanant de notre société éclatée.

Sacrifice d'une femme qui, par conviction et engagement religieux, croyait aux gestes simples qui changent des vies, bousculent des manières de penser et de faire. Elle aura été, sans aucun doute, victime d'un amour qui dépasse nos valeurs superficielles et même notre entendement. Sœur Estelle est morte au combat, pas celui de l'Irak ou de l'Afghanistan, mais celui qui a cours dans nos rues urbaines. » À l’instar de Sœur Estelle, les exemples de frères inspirants pour bien des gens de chez nous sont nombreux.

Il n’y a pas d’âge ou de saison pour la mission. C’est l’appel du meilleur de soi-même au service d’un confrère qui souffre, d’un jeune en crise, d’une chorale à mettre en voix, d’une corvée à finir. Diversifiée et multiforme, elle se déploie admirablement bien dans les différentes œuvres de la province. Les talents et les charismes de chacun ne sont pas emmurés mais ils peuvent s’épanouir selon les capacités et les rythmes de chacun. Entre vous et moi, il n’est pas nécessaire de brasser la même soupe pour être proche, en communion dans la mission. C’est l’esprit de communion qu’il faut développer sans cesse au-delà du faire et parfois même du faire ensemble. Quand je quitte la maison pour le boulot, il importe que je sois en communion avec ceux qui m’envoient, les autres qui partent ailleurs ou qui restent pour l’infirmerie, L’Ancre, l’ESB, L’Arrimage et j’en passe. Je ne suis jamais seul en mission, car je suis un envoyé, encouragé et soutenu par les miens. C’est aussi cela la mission commune!

Nous sommes et nous serons toujours des hommes d’action, des religieux éducateurs; ça nous colle à la peau. Nous sommes en quelque part, selon une expression bien de chez nous, d’excellents faiseux, créateurs et ingénieux, depuis 1872. Le savoir-faire n’a pas de secret dans nos rangs, car il y a tous les talents ou presque. Malgré un âge moyen assez élevé, nous avons toujours un peu de poussière de craie sur nos doigts. Mais nous le savons tous, la mission dépasse évidemment le savoir-faire aussi brillant soit-il. Elle s’inscrit aussi dans une dynamique relationnelle, fraternelle et spirituelle qui sans cesse doit s’évaluer périodiquement en communauté. Il faut être profondément habité par ce qui nous rassemble, nous fortifie, nous réalise et nous édifie. Notre mission ne se réalisera jamais seul si nous restons profondément en esprit de communion avec nos frères et en collaboration étroite avec des laïcs compétents, soucieux de l’avenir de nos œuvres. Notre règle de vie (150) nous rappelle avec sagesse et pertinence ceci: « Avec lucidité, prudence et audace, nous adaptons notre action éducative aux besoins des temps et des lieux, afin de répondre le mieux possible aux appels de l’Esprit. »

Frères, la mission pour la vie, c’est jusqu’au bout!

Frère Jean-Guy Roy, S.C.


1) Frère Jean-Guy Roy est directeur général du réseau radiophonique Radio Ville-Marie et responsable d'une résidence d'étudiants près de l'Université de Montréal. De 1991 à 1997, il a occupé les postes de supérieur provincial à Montréal et d'assistant général de la communauté à Rome. Il est toujours membre du conseil provincial au Canada. Journaliste et animateur de radio, il compte à son actif six publications et près de 350 articles que l'on peut lire sur son blogue au www.radiovm.com .

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