(Lionel Pelchat, alias frère Jean-Pierre)
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement,
« Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Par contre, un certain nombre d’aphorismes directeurs de vie ou de comportement me sont toujours restés en tête. Pour n’en citer que quelques-uns : «Contemplata gratis aliis tradere » (1) ; « Maxima utilitas, minimis mediis » (2) ; « Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur » (3) ; « Usus magister optimus » (4); « Bis dat qui cito dat » (5) ; «Amicus Plato sed magis amica veritas », etc.
À mon retour de Rome, j’enseignai la Religion et la Philosophie à l’École Secondaire Richard de Verdun pendant deux ans. Je crois pouvoir affirmer que mes cours de philosophie ont répondu aux attentes inavouées de mes élèves, mais ce furent surtout mes cours de religion qui réveillèrent le plus d’intérêt chez eux. Ces élèves de 11e et 12e année avaient été habitués à s’entendre répéter les mêmes lieux communs depuis leur entrée à l’école. Or ils se trouvaient soudainement devant un prof en soutane qui, au lieu de leur imposer son enseignement, les invitait à réfléchir, à critiquer, à discuter, voire même à contredire les positions théoriques qu’il leur présentait ! Ils sentaient chaque jour leur barque s’éloigner un peu plus du rivage du prêt-à-porter qu’on leur avait jusque-là imposé. Voulant leur faire comprendre que la pratique de la religion devait avoir comme base l’amour plutôt que la crainte, la confiance plutôt que la peur, je remplaçais les « Malheureux ceux qui… » par les « Bienheureux ceux qui… », etc. Et c’est à ce moment-là que je me rendis compte que les cours de Bible et de Morale que j’avais suivis avec plus ou moins d’intérêt à JESUS MAGISTER pouvaient avoir des répercussions dans la vie de tous les jours, même dans celle d’adolescents dont les préoccupations principales étaient loin d’avoir quelque rapport direct que ce soit avec la religion.
Pour les raisons que j’expose en détails dans mon autobiographie, « Lionel…une vie », je quittai la communauté en 1964 et m’embarquai pour l’Afrique où la connaissance des diverses langues que je possédais me fut beaucoup plus utile que mon savoir théologique. J’avais en effet réussi à obtenir mon premier contrat avec le gouvernement canadien parce que je répondais au profil que le Ministère de l’Éducation malien avait soumis à Ottawa, celui d’un professeur de philosophie et de langues pour l’École Normale de filles de Bamako. Et dès mon arrivée au Mali, je me mis à l’étude de l’allemand. La roue était lancée. J’allais désormais gagner ma vie en enseignant la voie vers la connaissance des langues plutôt que de prêter ma voix aux mystères des voies de Dieu.
Accepter de répondre à cette question, c’est accepter de s’étendre lentement sur un divan, de fermer pudiquement les yeux et de plonger tête première quelque cinquante ans en arrière. C’est aussi se rendre compte que Boileau s’est magistralement trompé le jour où il a osé écrire dans son Art Poétique :
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement,
« Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Même s’il ne fait aucun doute que le Lionel qui est rentré au Québec en août 1962 n’était pas du tout le même que celui l’avait quitté quatre ans plus tôt, il n’en reste pas moins que d’essayer d’emprisonner dans des mots les diverses transformations qui s’étaient opérées en moi pendant ces quatre ans est loin de s’avérer une sinécure. Mais puisque j’ai accepté de répondre à la question posée par mon ami Florian, à savoir : « Que t’a apporté Jesus Magister? », je m’attelle à la tâche en espérant que les réflecteurs que j’utiliserai dans le but d’essayer d’analyser cette tranche de ma vie m’aideront à bien répondre à la question posée.
Quiconque passe plusieurs années à étudier à l’université, quelle qu’elle soit, voit inévitablement ses connaissances s’accroître et sa personnalité évoluer. Et les quatre années que j’ai passées à l’université du Latran n’ont pu faire autrement que de meubler mon esprit de nouveaux savoirs directement liés aux diverses disciplines imposées par le cursus qui m’a mené à l’obtention d’une licence en Sciences Religieuses. Et ceci s’applique à tous ceux qui ont suivi les mêmes études que moi.
Mais, ces études philosophiques et théologiques se fussent-elles déroulées à Montréal ou ailleurs au Québec que ma personnalité n’aurait pas été aussi profondément métamorphosée qu’elle le fut par un long séjour en Europe. Au cours de la longue semaine de la traversée qui m’amena de Montréal à Liverpool, je n’avais réalisé que théoriquement l’énorme chance que j’avais d’avoir été désigné comme étudiant dans la Ville éternelle. Mais, dès les premières semaines après avoir mis le pied sur le vieux continent, je me rendis compte que les quelques années à venir allaient m’apporter beaucoup plus que ce que j’avais imaginé le jour de ma nomination quelques semaines plus tôt.
Déjà, pendant le voyage en train que j’avais fait, seul, de Paris à Rome, en m’arrêtant en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse et dans le nord de l’Italie, j’avais vu tant de merveilles, et j’avais réalisé qu’il y avait tant de choses à apprendre, que je voulais tout voir et tout visiter. Mais, me disais-je, tu as encore quatre ans devant toi; tu devrais peut-être commencer par apprivoiser de nouvelles langues afin de mieux profiter de toute cette culture.
J’ai donc entrepris ma première année d’université en ayant deux objectifs en tête : réussir mon année académique et apprendre l’italien. Je ne consacrais qu’une demi-heure systématique par jour à l’étude de cette langue, mais l’environnement quotidien dans lequel je baignais (transports publics, une heure de télévision, visites de musées, etc.) venait doubler l’efficacité de mon apprentissage de la langue de Dante. De plus, je demandai d’aller passer mes premières grandes vacances d’été (1959) au postulat-noviciat d’Albano où je pus jouir d’une immersion totale en vivant dans une ambiance 100% italienne toute la journée durant, et ce, pendant trois mois. À la rentrée d’octobre, je parlais évidemment italien couramment.
Lors de la deuxième année, ce fut vers l’espagnol que je jetai mon dévolu. Et aux grandes vacances de l’été 1960, après avoir suivi un cours de civilisation française (langue, art, philosophie) à l’Institut catholique de Paris pendant un mois, je mettais le cap sur l’Espagne où j’allais me frotter cette fois-ci au verbe de Cervantès pendant presque trois mois encore. Puis, un an plus tard, ce fut Londres qui se chargea de satisfaire mon appétit insatiable des langues. Et une fois ma licence décrochée, en juin 1962, je passai deux autres mois à l’université de Madrid avant de prendre le chemin du retour vers le Québec.
Jusqu’ici, dans ma réflexion sur mes années romaines, je n’ai développé que le volet étude des langues qui constituait évidemment mon hobby préféré, mais vous pouvez facilement imaginer ce que tous ces divers séjours et multiples voyages en différents pays supposent en apports culturels, sociologiques et religieux. Combien de fois ne m’a-t-il pas été donné de pouvoir vérifier la véracité du proverbe «C’est du choc des idées que naît la lumière » ! La lumière pour d’autres, peut-être, mais surtout pour moi qui me trouvais souvent dans l’obligation d’essayer de bien comprendre la position d’un opposant avant d’essayer de lui démontrer pourquoi je croyais qu’il avait tort. Quels arguments apporter à un Espagnol franquiste jusque dans la moelle pour essayer de lui démontrer que la démocratie comporte plus de qualités et moins de défauts que la dictature ? Comment défendre la position du croyant que j’étais devant une sympathique matrone anglaise (la propriétaire de la maison de pension que j’habitais à Londres) qui affiche ouvertement son athéisme devant tout le monde ? Comment ne pas réaliser la profondeur de mon ignorance en sculpture et en architecture (et en arts en général) alors que ce fut un bambino romain encore d’âge scolaire qui, par hasard, m’initia à l’art baroque en me décrivant en détails la façade du palais Farnese à côté duquel nous habitions ?, etc. Toutes ces discussions et chacune de ces rencontres étaient source d’approvisionnement intellectuel et d’approfondissement de toutes sortes qui ne purent que laisser de profondes traces en moi.
Aucun des nombreux professeurs que j’ai eus au cours de ces quatre années ne m’a vraiment marqué. Certains étaient plus éveilleurs que d’autres, certes, mais je ne suis revenu de Rome avec aucune idole à vénérer ni aucun maître à imiter. Dans mon enseignement subséquent, j’ai surtout cherché à éviter de répéter les erreurs et les défauts des professeurs qui ne faisaient pas le poids plutôt que de me proposer de suivre l’exemple de celui-ci ou de celui-là.
Quiconque passe plusieurs années à étudier à l’université, quelle qu’elle soit, voit inévitablement ses connaissances s’accroître et sa personnalité évoluer. Et les quatre années que j’ai passées à l’université du Latran n’ont pu faire autrement que de meubler mon esprit de nouveaux savoirs directement liés aux diverses disciplines imposées par le cursus qui m’a mené à l’obtention d’une licence en Sciences Religieuses. Et ceci s’applique à tous ceux qui ont suivi les mêmes études que moi.
Mais, ces études philosophiques et théologiques se fussent-elles déroulées à Montréal ou ailleurs au Québec que ma personnalité n’aurait pas été aussi profondément métamorphosée qu’elle le fut par un long séjour en Europe. Au cours de la longue semaine de la traversée qui m’amena de Montréal à Liverpool, je n’avais réalisé que théoriquement l’énorme chance que j’avais d’avoir été désigné comme étudiant dans la Ville éternelle. Mais, dès les premières semaines après avoir mis le pied sur le vieux continent, je me rendis compte que les quelques années à venir allaient m’apporter beaucoup plus que ce que j’avais imaginé le jour de ma nomination quelques semaines plus tôt.
Déjà, pendant le voyage en train que j’avais fait, seul, de Paris à Rome, en m’arrêtant en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse et dans le nord de l’Italie, j’avais vu tant de merveilles, et j’avais réalisé qu’il y avait tant de choses à apprendre, que je voulais tout voir et tout visiter. Mais, me disais-je, tu as encore quatre ans devant toi; tu devrais peut-être commencer par apprivoiser de nouvelles langues afin de mieux profiter de toute cette culture.
J’ai donc entrepris ma première année d’université en ayant deux objectifs en tête : réussir mon année académique et apprendre l’italien. Je ne consacrais qu’une demi-heure systématique par jour à l’étude de cette langue, mais l’environnement quotidien dans lequel je baignais (transports publics, une heure de télévision, visites de musées, etc.) venait doubler l’efficacité de mon apprentissage de la langue de Dante. De plus, je demandai d’aller passer mes premières grandes vacances d’été (1959) au postulat-noviciat d’Albano où je pus jouir d’une immersion totale en vivant dans une ambiance 100% italienne toute la journée durant, et ce, pendant trois mois. À la rentrée d’octobre, je parlais évidemment italien couramment.
Lors de la deuxième année, ce fut vers l’espagnol que je jetai mon dévolu. Et aux grandes vacances de l’été 1960, après avoir suivi un cours de civilisation française (langue, art, philosophie) à l’Institut catholique de Paris pendant un mois, je mettais le cap sur l’Espagne où j’allais me frotter cette fois-ci au verbe de Cervantès pendant presque trois mois encore. Puis, un an plus tard, ce fut Londres qui se chargea de satisfaire mon appétit insatiable des langues. Et une fois ma licence décrochée, en juin 1962, je passai deux autres mois à l’université de Madrid avant de prendre le chemin du retour vers le Québec.
Jusqu’ici, dans ma réflexion sur mes années romaines, je n’ai développé que le volet étude des langues qui constituait évidemment mon hobby préféré, mais vous pouvez facilement imaginer ce que tous ces divers séjours et multiples voyages en différents pays supposent en apports culturels, sociologiques et religieux. Combien de fois ne m’a-t-il pas été donné de pouvoir vérifier la véracité du proverbe «C’est du choc des idées que naît la lumière » ! La lumière pour d’autres, peut-être, mais surtout pour moi qui me trouvais souvent dans l’obligation d’essayer de bien comprendre la position d’un opposant avant d’essayer de lui démontrer pourquoi je croyais qu’il avait tort. Quels arguments apporter à un Espagnol franquiste jusque dans la moelle pour essayer de lui démontrer que la démocratie comporte plus de qualités et moins de défauts que la dictature ? Comment défendre la position du croyant que j’étais devant une sympathique matrone anglaise (la propriétaire de la maison de pension que j’habitais à Londres) qui affiche ouvertement son athéisme devant tout le monde ? Comment ne pas réaliser la profondeur de mon ignorance en sculpture et en architecture (et en arts en général) alors que ce fut un bambino romain encore d’âge scolaire qui, par hasard, m’initia à l’art baroque en me décrivant en détails la façade du palais Farnese à côté duquel nous habitions ?, etc. Toutes ces discussions et chacune de ces rencontres étaient source d’approvisionnement intellectuel et d’approfondissement de toutes sortes qui ne purent que laisser de profondes traces en moi.
Aucun des nombreux professeurs que j’ai eus au cours de ces quatre années ne m’a vraiment marqué. Certains étaient plus éveilleurs que d’autres, certes, mais je ne suis revenu de Rome avec aucune idole à vénérer ni aucun maître à imiter. Dans mon enseignement subséquent, j’ai surtout cherché à éviter de répéter les erreurs et les défauts des professeurs qui ne faisaient pas le poids plutôt que de me proposer de suivre l’exemple de celui-ci ou de celui-là.
Par contre, un certain nombre d’aphorismes directeurs de vie ou de comportement me sont toujours restés en tête. Pour n’en citer que quelques-uns : «Contemplata gratis aliis tradere » (1) ; « Maxima utilitas, minimis mediis » (2) ; « Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur » (3) ; « Usus magister optimus » (4); « Bis dat qui cito dat » (5) ; «Amicus Plato sed magis amica veritas », etc.
À mon retour de Rome, j’enseignai la Religion et la Philosophie à l’École Secondaire Richard de Verdun pendant deux ans. Je crois pouvoir affirmer que mes cours de philosophie ont répondu aux attentes inavouées de mes élèves, mais ce furent surtout mes cours de religion qui réveillèrent le plus d’intérêt chez eux. Ces élèves de 11e et 12e année avaient été habitués à s’entendre répéter les mêmes lieux communs depuis leur entrée à l’école. Or ils se trouvaient soudainement devant un prof en soutane qui, au lieu de leur imposer son enseignement, les invitait à réfléchir, à critiquer, à discuter, voire même à contredire les positions théoriques qu’il leur présentait ! Ils sentaient chaque jour leur barque s’éloigner un peu plus du rivage du prêt-à-porter qu’on leur avait jusque-là imposé. Voulant leur faire comprendre que la pratique de la religion devait avoir comme base l’amour plutôt que la crainte, la confiance plutôt que la peur, je remplaçais les « Malheureux ceux qui… » par les « Bienheureux ceux qui… », etc. Et c’est à ce moment-là que je me rendis compte que les cours de Bible et de Morale que j’avais suivis avec plus ou moins d’intérêt à JESUS MAGISTER pouvaient avoir des répercussions dans la vie de tous les jours, même dans celle d’adolescents dont les préoccupations principales étaient loin d’avoir quelque rapport direct que ce soit avec la religion.
Pour les raisons que j’expose en détails dans mon autobiographie, « Lionel…une vie », je quittai la communauté en 1964 et m’embarquai pour l’Afrique où la connaissance des diverses langues que je possédais me fut beaucoup plus utile que mon savoir théologique. J’avais en effet réussi à obtenir mon premier contrat avec le gouvernement canadien parce que je répondais au profil que le Ministère de l’Éducation malien avait soumis à Ottawa, celui d’un professeur de philosophie et de langues pour l’École Normale de filles de Bamako. Et dès mon arrivée au Mali, je me mis à l’étude de l’allemand. La roue était lancée. J’allais désormais gagner ma vie en enseignant la voie vers la connaissance des langues plutôt que de prêter ma voix aux mystères des voies de Dieu.
Mon orientation de vie avait bifurqué et mon bateau avait changé de cap, mais les nombreuses expériences que j’avais vécues et les divers savoirs que j’avais acquis pendant les quatre années de JESUS MAGISTER ne pouvaient cesser de faire partie de mon être. Et j’ai toujours continué de savoir gré à toutes les causes et à tous les hasards absolument indépendants de mon vouloir qui ont fait que j’ai eu la chance de vivre ces plus qu’enrichissantes années d’études à l’ombre du Vatican.
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(1) Sache partager gratuitement avec les autres les choses que tu as apprises.
(2) Savoir produire les meilleurs résultats par la plus grande économie de moyens possible.
(3) Tout ce qui est compris ou appris l’est selon l’esprit de celui qui le comprend ou l’apprend.
(4) C’est par la pratique que l’on devient maître.
(5) Qui donne rapidement donne deux fois.
(6) Ton amitié m’est précieuse, mais la vérité me l’est encore davantage.
* * * * * *
Lionel Pelchat, mai 2010
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(1) Sache partager gratuitement avec les autres les choses que tu as apprises.
(2) Savoir produire les meilleurs résultats par la plus grande économie de moyens possible.
(3) Tout ce qui est compris ou appris l’est selon l’esprit de celui qui le comprend ou l’apprend.
(4) C’est par la pratique que l’on devient maître.
(5) Qui donne rapidement donne deux fois.
(6) Ton amitié m’est précieuse, mais la vérité me l’est encore davantage.
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Lionel Pelchat, mai 2010
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