par Jean-Guy Legault
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À la fin de l'année scolaire 1958-1959, j'obtenais un premier diplôme me permettant d'enseigner au Québec, de la première à la neuvième année. Je venais d'avoir 19 ans.
Une première affectation m'envoyait à l'école Saint-Alphonse de Victoriaville, comme titulaire d'une classe de 5e année du primaire. Je n'ai eu que le temps de m'y installer qu'aussitôt je devais refaire ma valise pour un petit village de la Beauce qui m'était totalement inconnu, East Broughton pour ne pas le nommer. Pour l'année scolaire 1959-1960 et les deux suivantes, je devenais professeur et titulaire de la 7e année, au collège Notre-Dame-du-Sacré-Coeur.
Cette petite école paroissiale de huit salles de classe recevait les garçons de la 4e année du primaire à la 10e année inclusivement. Le frère Gilles (Charles-Émile Tousignant) officiait comme directeur-fondateur. Le frère Martin (Gilbert Allard) avait en charge la 10e année, le frère Albert (Thomas Toutant), la 9e et moi-même la 7e. Le frère Uldéric (Cantin), retraité et artiste-peintre à ses heures, complétait la petite communauté d'East Broughton. Deux professeurs laïcs, dont monsieur Albert Turmel, surnommé «La Compétince» (sic), ainsi que trois «maîtresses», comme on les appelaient à l'époque, complétaient le personnel de l'école. L'année suivante, le frère Martin quittait pour le Cameroun et fut remplacé par le frère Julius (Henri Gélinas). Quant au frère Uldéric, il regagna la maison provinciale d'Arthabaska. Enfin, la troisième année, le frère Blaise (André Toutant) remplaça le frère Gilles comme directeur. Ces six confrères persévérèrent en communauté. Pas moi !
À l'époque, la paroisse Sacré-Cœur-de-Jésus comptait environ 3300 paroissiens et desservait trois municipalités, à peu près d'égale population: East Broughton village, East Broughton station et Sacré-Coeur-de-Jésus paroisse. Le curé Ferland et les deux vicaires Poulin et Gilbert habitaient l'immense presbytère, maintenant devenu un Centre d'emploi. Plusieurs résidents d'East Broughton travaillaient à la mine d'amiante Carey. Même le président de la Commission scolaire Joseph-Henri Lessard y trouvait son gagne-pain. N'ayant pas fait de longues études, il parsemait ses discours de «dont auquel» qui nous faisaient sourire. Ayant accueilli le premier directeur chez lui, lors de la fondation du collège, le président et son épouse l'avaient invité à se «crocheter sur la pantère». Surprenant, n'est-ce pas ?
La première année, j'avais 29 élèves en classe dont cinq Vachon et huit Lessard. Parmi les Vachon, il me fallait toujours préciser si je désignais Clermont Vachon à Marcel ou Clermont Vachon à Odilon... Parmi les Lessard, trois Daniel et deux Claude. Daniel à Joseph-Émilien, Daniel à Joseph-Albert et Daniel à Odilon. Claude à Henri-Paul et Claude à Alphonse... Toute une gymnastique ! L'année suivante, j'ai été plus chanceux: sept Lessard, mais aucun du même prénom; deux Vachon: Gilles Vachon-Fortin et Michel Vachon-Gosselin. Enfin, la troisième année, deux Lessard et trois Vachon. Aussi deux frères Grenier, deux Grondin, deux Paré, deux Rodrigue et deux Roy, des noms de famille typiques de la Beauce.
Comme professeur de septième année, à l'époque, nous devions préparer les élèves à deux événements importants: la communion solennelle et le certificat de fin d'études du primaire émis par le Département de l'Instruction publique. Croyez-le ou non, à East Broughton, les élèves «marchaient encore au catéchisme». Tous les élèves de septième année de la paroisse, garçons et filles, tous les jours pendant deux semaines, devaient se rendre à la sacristie de l'église. Le curé et les vicaires les «sermonnaient» assez pour les ennuyer... De plus, l'examen de fin d'année, en cette matière, avait lieu au début de juin. C'était à chaque titulaire de classe que revenait la tâche de les préparer à cette épreuve. La troisième année, neuf de mes élèves s'étaient classés parmi les 10 premiers de la paroisse. Et on dit que les garçons réussissent moins bien que les filles... Il faut dire que j'y avais mis le paquet en faisant réviser, ad nauseam, les examens des six ou sept dernières années. La mémorisation ne faisait mourir personne à l'époque...
En 1961-1962, le nouveau directeur m'avait confié une classe à deux divisions: sixième et septième années. Comme c'étaient les meilleurs des deux divisions, j'avais obtenu l'autorisation de les présenter tous aux examens du certificat de fin d'année. J'ai obtenu le succès désiré. Tous ont réussi sauf un qui était beaucoup trop faible. Il faut dire que la septième année du cours primaire ne leur apprenait pas grand chose de neuf. La preuve, c'est que, huit ou neuf ans plus tard, le ministère de l'Éducation supprimait la septième année.
Lorsque je suis arrivé à East Broughton, l'école des garçons venait de perdre sa patinoire qui fut déménagée sur les terrains de la Fabrique, près de l'église. Gilbert et moi voulions pratiquer des sports d'hiver. Nous avons fait venir d'Arthabaska deux «sauteux». Une bibitte rare formée d'un ski unique, surmonté d'un siège. Nous arpentions les montagnes de résidu minier de la Carey Canadian Mine. Le sauteux, que certains appelaient «jumper», épatait les Broughtonnais; ils n'avaient jamais vu pareille chose.
Puis, il a fallu se mettre au goût du jour. L'année suivante, je chaussais avec Henri ma première paire de skis, dit «alpin». Je n'allais pas pour autant goûter aux joies des téléphériques, des pomas, des télésièges ou des télécabines. Il s'agissait tout simplement de détacher la partie arrière des harnais et hop ! on était prêts pour la balade dans les champs environnant le collège.
Lors de mes études secondaires et collégiales à Arthabaska et à Bromptonville, mes parents pouvaient facilement venir me rendre visite en utilisant les services des autobus intercités. Mais comment partir d'Asbestos et atteindre facilement East Broughton, en Beauce ? Il aurait fallu monter à bord d'un autobus à Asbestos, transférer à Victoriaville, et à Plessisville, puis à Thetford-Mines et enfin arriver à East Broughton. Tout un parcours ! C'est sans doute ce qui a aidé Lionel, mon père, à acheter, au printemps 1960, sa première voiture, une Plymouth 1958. Je ne me permettrai pas ici de raconter toutes les émotions et même les aventures que mon père a fait vivre à sa famille. Très nerveux au volant, il faisait tout de même son possible. Ma conjointe le désignait comme un miraculé de la route. Ce n'est pas peu dire !
Fait cocasse, au printemps 1960, lors d'une visite de la famille Legault, mes sœurs Lise et Huguette avaient apporté leur radio à transistors. En après-midi, elles décident d'aller prendre des rafraîchissements dans un resto situé sur la rue Principale. Je ne sais pas si l'Estrie était en avance sur la Beauce, toujours est-il que les gens du village étaient surpris de constater que l'on pouvait écouter de la musique tout en circulant.
En plus de ma classe, je devais m'occuper d'action catholique. On m'avait confié la charge d'animer la Croisade eucharistique: les Croisés. Les rencontres mensuelles, heureusement assez espacées, avaient lieu après la classe de l'après-midi, un moment assez mal choisi, dû à la fatigue de tous et chacun. De plus, j'assistais le directeur pour superviser le groupe des «enfants de chœur» à la grand-messe du dimanche. Un certain dimanche matin, le directeur ayant dû s'absenter, je me souviens d'avoir manipulé la claquette avec une certaine habileté. J'ai été surpris de constater le pouvoir que j'avais de faire lever, agenouiller et asseoir toute cette foule...
Au début des années 1960, les commissions scolaires n'avaient pas les services d'une direction générale. Beaucoup de responsabilités étaient laissées au directeur d'école. Nous enseignions durant 193 ou 194 jours par année. Il n'y avait pas de semaine relâche. Dans chaque région, il y avait un inspecteur d'écoles. Le nôtre se nommait Fortunat Royer. Il organisait à Sainte-Marie-de-Beauce ou à Saint-Joseph-de-Beauce une réunion pédagogique en début d'année et une autre à la fin. En revenant à la salle de rencontre après l'heure du dîner, il avait l'habitude de dire: «J'en vois qui n'y sont pas...» C'est à lui également que revenait la tâche de superviser les corrections des examens de fin d'année. Deux fois par d'année, il visitait chaque classe de son district.
Les loisirs culturels n'étaient pas très nombreux dans ce petit village. Inutile de souligner qu'il n'y avait pas de bibliothèque municipale. Heureusement, nous recevions quotidiennement par la poste les journaux suivants: Le Devoir et L'Action catholique. Les deux dernières années, c'est moi qui faisait office de facteur. Tous les après-midis après les classes, je me rendais à pied au bureau de poste qui était assez éloigné du collège.
Le gérant de la caisse populaire, Émilien (Tit-Milien) Lessard recevait les déposants dans le solarium de sa résidence. Pas d'affiche pour aviser les voleurs... J.-A. Turcotte, le croque-mort de l'endroit exposait les défunts dans son salon familial. Le pharmacien local, J.-Émilien Lessard (Gros-Milien), tenait son commerce à même sa résidence familiale. La vendeuse de meubles, madame Royer, logeait à l'étage de son magasin. Madame Turmel tenait, à même sa résidence, un magasin de «Coupons pour bébé à la verge» !!!
Sur semaine, Tit-Milien et Gros-Milien chantaient deux messes par matin, à l'église. L'un était d'une lenteur exaspérante, l'autre chantait à toute vitesse en escamotant plusieurs syllabes. Gabrielle, la femme du pharmacien, était l'organiste de la paroisse. Un dimanche soir alors que nous étions au jubé pour chanter les Vêpres, elle portait un joli petit chapeau avec plume, exactement semblable à celui de Robin des Bois. Nous venions tout juste de visionner une épisode de cette série. Inutile de vous dire que nous avons dû retenir nos sourires...
Un peu plus tard, en 1962, on a bâti une vraie caisse populaire en ayant soin d'y déménager le salon mortuaire au demi-sous-sol. Quelle nouveauté pour l'endroit ! Les commères du village n'ont pas manqué de s'y rendre en grand nombre lors de la première exposition.
Le directeur du cinéma nous invitait gratuitement une ou deux fois par année à condition qui nous y amenions les élèves à une projection spéciale vers 15h. Je me souviens d'y avoir visionné, entre autres, La famille Trapp, Autant en emporte le vent, et peut-être Les dix commandements.
La deuxième année, je m'étais inscrit à des cours universitaires télévisés qui m'ont permis de compléter mon Baccalauréat ès Arts à l'université de Sherbrooke. En cours de session, j'avais des travaux de recherche à compléter et je devais me rendre à Sherbrooke pour l'examen final. Je me souviens d'avoir suivi un cours de géographie physique et humaine, un cours de grammaire et stylistique et un cours intitulé General polishing-up of spoken and written English.
J'ai complété ce diplôme à l'été 1962, à l'été 1963 et, à temps partiel, durant l'année scolaire 1963-64.
En juin 1962, je quittais définitivement East Broughton pour la grande ville de Montréal. J'entreprenais ma quatrième année du Brevet «A» à l'École normale Sainte-Croix, située tout juste en face de l'Oratoire Saint-Joseph. En juin 1963, en plus du brevet «A», on me remettait un baccalauréat en Pédagogie de l'université de Montréal. J'étais maintenant prêt à entreprendre une autre étape de ma carrière d'enseignant dans les sections classiques de Saint-Georges-de-Beauce (trois ans) et de Victoriaville (quatre ans).
P.S.: Pour l'année scolaire 1959-1960, mon salaire était de 2100 $...
Jean-Guy LeGault,
L'Ancienne-Lorette,
septembre 2010
Texte bien intéressant...souvenirs ! J'ai fréquenté ce collège 'sous la direction du frère Toutant surnommé frère Toc'; adepte de 'la strap'..dont je vus épargné. Mais quelles sordides récréations quand il pleuvait: Nous étions confinés dans la grande salle longeant les murs car le jeu était que tous 'strappent' tous aux jambes avec leurs ceintures !!! et le frère Toc d'observer en riant. Mauvais souvenir. Jean Martel
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