lundi 22 mars 2010

15.4 MSC - ENSEIGNEMENT ET ÉTUDES CHEZ LES FRÈRES DU SACRÉ-COEUR

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Par Jean-Claude Éthier, S. C .
Profil

Si je plonge dans le passé et que je jette un regard sur la sorte d’enseignement que j’ai reçu et sur le parcours d’études qui a été mien, il saute aux yeux que les réalités instruction, éducation et formation qui m’ont marqué ont été singulièrement colorées par l’approche éducative et pédagogique des Frères du Sacré-Cœur. Cela surtout durant dix-sept ans.

En tout premier lieu, à la suite de cette constatation, j’aborde tout de go mon propre parcours en tant qu’élève à l’école élémentaire et à l’école secondaire.

Je suis arrivé au juvénat du Mont-Sacré-Cœur en soirée du 1er juillet 1943. À l’inscription officielle qui s’est faite le lendemain matin, le responsable décide de m’inscrire en 8e année.

L’année précédente, j’avais fréquenté l’école Samuel-Genest de la paroisse Saint-Charles d’Ottawa (municipalité d’Eastview). D’ailleurs, c’est à cette école que j’avais fait tout mon apprentissage scolaire, de la 1re à la 8e année. Et mon parcours a été pas mal tortueux. J’ai entrepris ma 1re année alors que je dépassais six ans et demi (caprice du règlement des inscriptions); j’ai doublé ma 2e année. La 3e et 4e année, je les ai faites en un an, de même que les 5e et 6e années. J’ai repris ma vitesse de croisière pour les 7e et 8e années : j’y ai mis simplement deux années régulières.

C’est en 3e année que j’ai connu les Frères du Sacré-Cœur; c’est sans doute grâce à l’excellent enseignant qu’était le frère R*** que j’ai pris les bouchées doubles au cours des années qui ont suivi. Le frère P***, qui m’a enseigné durant mes trois dernières années de mon cours primaire[1] à l’école Samuel-Genest, n’avait pas les qualités et le doigté pédagogique de l’instituteur-frère des années précédentes.

Tout cela pour dire que je n’ai pas été humilié de répéter ma 8e année à mon entrée au juvénat du Mont-Sacré-Cœur en cette année 1943; je sentais vaguement qu’il y avait des notions de base qu’il me fallait reprendre et approfondir.

D’ailleurs, c’était pratique habituelle pour les responsables du juvénat de faire répéter la 8e année aux jeunes venus de l’Ontario; on les trouvait plus faibles en français et en arithmétique que les jeunes venus des écoles du Québec.

Donc, j’ai fait mes 8e et 10e années au juvénat du Mont-Sacré-Cœur. Ma performance en 8e année a dû convaincre les autorités que je pouvais allègrement passer à la 10e année.

Quel programme d’études suivions-nous au juvénat du Mont-Sacré-Cœur?

Le cours classique offert dans les petits séminaires donnait accès à l’université. Le cours secondaire populaire, bâti pour les besoins de la cause, assurait un supplément d’instruction et de formation aux élèves des familles impécunieuses avant qu’ils ne se lancent dans le monde du travail. Cette situation contenait déjà en germe le combat qui va se livrer pour ouvrir par d’autres voies que le cours classique l’accès à l’université.

Le programme d’études au juvénat s’alignait de très près sur le cours secondaire que les frères organisaient dans les écoles publiques qu’ils dirigeaient et dans leurs collèges privés. Ce type de programme d’études secondaires avait commencé à se multiplier durant les années 1930, surtout chez les frères confinés jusque-là à exercer leur charge d’enseignants dans le système élémentaire des écoles publiques de jeunes garçons.

Au juvénat, nous trouvions, dans les grandes lignes, les matières suivantes au programme :
- le français (grammaire, orthographe, rédaction et stylistique)
- l’anglais
- l’arithmétique, l’algèbre et la géométrie
- la comptabilité
- la géographie
- le dessin
- les racines grecques et latines.

Durant les vacances d’été, on nous enseignait des matières dites collégiales qui consistaient en des éléments de géologie, de zoologie, de botanique et d’astronomie.

Il allait de soi que le climat général était fortement imprégné de la dimension religieuse : exercices religieux (prières diverses réparties tout au cours de la journée), messe quotidienne, vêpres le dimanche et les solennités, avertissement des défauts une fois la semaine (en même temps que l’on commentait notre rendement scolaire rigoureusement évalué), lecture de la vie des saints, du nécrologe (frères défunts) et de l’Imitation de Jésus-Christ au réfectoire, retraite annuelle, rencontre personnelle avec le directeur.

En classe, il y avait l’étude du catéchisme (8e) et de l’apologétique (10e).

Les activités, très bien organisées et animées, contribuaient également à notre formation «intégrale»; j’énumère celles dont je me souviens :
- chant et musique, liés aux célébrations religieuses, aux activités festives et récréatives;
- théâtre, saynètes et sketchs qui agrémentaient ce que nous appelions «nos soirées de famille»;
- sport et jeux d’une grande variété à l’extérieur sur les terrains de jeux ou à l’intérieur dans l’immense salle de récréation;
- l’entretien des pièces de la maison, du potager, du verger, de l’érablière, des pelouse, cela en plus du lavage de la vaisselle et du maintien de la propreté…

Il faut garder bien en vue que nous étions des aspirants, que l’instruction et la formation proposées devaient nous préparer à assumer notre responsabilité de «frères».

Le programme avait été rodé en conséquence.

À l’origine, lorsque les frères sont arrivés au Canada en 1872, ils ont ouvert un collège commercial privé à Arthabaska. A suivi la fondation d’autres collèges à Victoriaville, à Saint-Hyacinthe, à Montmagny, à La Pérade, à Granby, à Pointe-aux-Trembles (Roussin),à Woonsocket (Mont-Saint-Charles).

Concurremment, les frères ont de plus en plus pris charge d’écoles paroissiales (publiques) du niveau élémentaire.

En optant pour ce créneau – service envisagé dans une perspective évangélique et ecclésiale qui répondait bien aux besoins de la population, des parents – les frères se sont mis sur la voie d’une expansion exceptionnelle.

Mon hypothèse est que le programme d’études et formation au juvénat du Mont-Sacré-Cœur, tel que je l’ai connu de 1943 à 1945, héritait des orientations peaufinées à la longue et de l’expérience que les frères avaient accumulée aux cours des ans. Ce que ce programme transmettait, c’était leur mission, leur attachement profond pour cette catégorie d’enfants et de jeunes qui, sans eux, n’auraient pas tous les privilèges, tous les atouts, pour se préparer à leurs responsabilités de pères de famille, de citoyens et de chrétiens.

L’année 1945-1946 (d’août 1945 à août 1946), j’ai fait l’année canonique du noviciat. Au noviciat, nous laissions de côté les études profanes. Notre programme comprenait les matières religieuses suivantes :
- les Règles et les constitutions des Frères du Sacré-Cœur;
- le catéchisme des vœux;
- le manuel de perfection chrétienne;
- l’histoire de l’Église;
- la liturgie;
- l’initiation à l’oraison;
- des entretiens spirituels.

En guise de petite concession à l’univers profane : étude des règles élémentaires d’étiquette.

En août 1946, après trois et un mois de présence non-interrompue dans la maison du Mont-Sacré-Cœur, je «traverse» au scolasticat. Il faut rappeler que la grande maison du Mont-Sacré-Cœur de Granby avait quatre «quartiers» ou quatre «pavillons» : le juvénat, le noviciat, le scolasticat et le centre. Se déplacer de l’un à l’autre se disait : «traverser». C’était comme franchir une étape ou dans notre imagination aller vers une «terre promise».

Le scolasticat était aussi appelé école normale; il préparait les nouveaux profès à leur responsabilité d’enseignants. On y utilisait la terminologie suivante pour décrire les divers échelons à gravir pour atteindre le couronnement, c’est-à-dire l’obtention du brevet d’enseignement : complémentaire 1, complémentaire 2 et brevet supérieur.

Trois confrères ontariens et moi-même faisions bande à part; nous étions regroupés dans un local plus petit et désigné comme «boîte à beurre». Désignation pas mal surfaite, car notre salle de classe était plus que convenable.

En tant qu’Ontariens, quel programme suivions-nous? Ici, une fois de plus on peut admirer le talent de «brillants bricoleurs» des frères qui se manifestait dans le domaine des études. Nous suivions le programme du Middle School du ministère de l’éducation de l’Ontario, programme de 11e et 12e année. Par une espèce d’acrobatie, nous étions affiliés à l’école secondaire de Hawkesbury, en Ontario; le directeur de l’école était le cousin du frère Auguste qui avait été directeur du scolasticat durant neuf ans et qui était décédé l’année précédente. Par l’entremise de l’école secondaire de Hawkesbury, nous étions inscrits au programme du Middle School, nous subissions les examens du ministère et nous étions à même de recevoir un certificat officiel d’études secondaires de l’Ontario.

Voilà donc pour le contexte.

En août 1946, je commence ma 11e année du cours ontarien. Défilent les cours :
- français (composition, littérature)
- anglais (composition, littérature)
- histoire (ancienne, médiévale, moderne)
- latin (auteurs, version, thème)
- algèbre
- géométrie.

Après quelques mois de ce régime, je me mets à envier mes compagnons du Québec qui suivent le programme de l’École normale. Ils ont accès à des laboratoires tout neufs de physique et de chimie. Je rêve de me convertir en scientifique.

Je mûris alors un projet que j’expose candidement à notre maître des scolastiques, le frère Cyprien. Si je complétais mes études de Middle School (11e et 12e année) en un an, me serait-il permis de me joindre à mes confrères québécois durant ma deuxième année de scolasticat afin de suivre des cours de physique et de chimie et, pour faire bonne mesure, également des cours d’algèbre, car je me sens plutôt dépourvu de ce côté? Pour réussir à faire 11e et 12e année en un an, je précise au frère Cyprien comment je m’y prendrais. Je m’absenterais du cours de musique et des répétitions de chant où je ne fais péniblement que simple acte de présence. Je suis devenu une vraie carpe depuis la mue de ma voix : je ne chante plus. Pourquoi ne pas ne pas profiter de cette période et de mes temps libres pour parcourir seul, sans professeur, le programme de 12e année? Le frère maître bénit mon projet et j’en suis tout heureux.

De fait, en juin 1947, j’obtiens mon certificat de Middle School de l’école secondaire de Hawkesbury où je n’ai jamais mis les pieds.

Une surprise m’attendait le 15 août 1947.

Le 15 août était la date traditionnelle de la publication des nominations. Le provincial y proclamait les obédiences, comme on disait. J’étais nommé à 17 ans enseignant à l’école Saint-Paul d’Aylmer. Fini le rêve d’une superbe année d’études de «consolidation», comme je l’avais envisagé! Avec mon petit bagage, je prenais la route de la mission.

Mais, dès l’année suivante, en août 1948, je retournais en Ontario, dans ma province d’origine. J’étais nommé étudiant à l’École normale de l’Université d’Ottawa. Mon certificat d’études secondaires de l’Ontario m’autorisait à m’y inscrire pour faire face aux exigences et devenir enseignant dans les écoles élémentaires de la province.

La plupart de mes confrères ontariens, une fois obtenu leur certificat d’études secondaires de l’Ontario, poursuivaient leurs études universitaires par cours par correspondance, par cours du soir, par cours de fin de semaine, par cours d’été à l’Université d’Ottawa. Ils finissaient par accumuler le nombre de crédits requis (correspondant à quatre années d’étude) pour décrocher leur baccalauréat ès arts.

De mon côté, j’ai décidé de poursuivre au Québec ce que j’avais tout juste amorcé par mes cours et examens collégiaux. J’ai obtenu ainsi par études personnelles mon brevet supérieur bilingue du Département de l’Instruction publique. Par équivalences, certaines matières m’ont été créditées pour le baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal. Toujours par études personnelles et par cours d’été, je me suis attaqué aux matières du programme telles que le thème latin, la version latine, la version grecque, les mathématiques, la logique et la morale, la métaphysique, la physique et la chimie.

En juin 1955, un baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal m’était décerné.

Oui, je le reconnaissais, mon parcours avait été celui d’un amateur. Mon objectif était cependant atteint. Je m’étais raffiné; j’étais bien décidé à mettre un terme à ma manière cavalière et fantaisiste d’aborder les études.

Le directeur des études de l’époque (1955) me fit savoir que le supérieur provincial demandait que je m’inscrive à des études supérieures en latin (on avait besoin de professeurs de latin; le cours classique était introduit dans plusieurs de nos maisons de formation et dans des écoles secondaires). J’ai dès lors commencé à suivre des cours du soir en littérature latine à l’Université d’Ottawa. J’ai vite pris conscience qu’il y avait pas mal de «trous» dans mes connaissances. Je me suis donc enfermé dans ma chambre à l’été de 1956 et j’ai parcouru de façon systématique les six volumes d’exercices d’apprentissage du latin de Petitmangin, avec les corrigés, et j’ai mémorisé les règles de son manuel de grammaire.

En octobre 1958, je suis nommé étudiant à Rome pour suivre des cours de théologie à l’Institut de sciences religieuses Jesus Magister, de l’Université du Latran. Je reviens en Ontario avec un baccalauréat et une licence en août 1961.

Ma période romaine m’a permis d’approfondir et la culture latine et la langue latine. Je poursuis mes études à l’Université d’Ottawa par cours du soir et par cours d’été et j’y décroche une Maîtrise ès arts en littérature latine au printemps de l968.

L’autre volet de mes études, celui du professionnel, s’est fait par cours d’appoint, par cours de reclassification en particulier en français, en histoire, en latin, en Écriture sainte et en approches pédagogiques de diverses matières.

Je pense que ce parcours m’a transformé en étudiant éternel : je porte toujours des questions et un désir insatiable de savoir me dévore.

En annexe à ce bref récit de parcours personnel dans les études, je présente d’abord un tableau des étapes que les frères canadiens ont franchi dans le domaine des études.

Les frères du Sacré-Cœur sont arrivés au Canada en 1872. Ils dirigent un collège commercial à Arthabaska. Très tôt, il faut déterminer comment préparer et former une relève dans l’enseignement.[2]

1888 Un comité est mis sur pied pour créer et organiser un programme d’études pour assurer le perfectionnement des frères; il s’agit d’un programme qui fonctionne à l’interne.

1901 Le comité porte désormais le nom de direction des études.

1912 Des frères se munissent d’un brevet officiel décerné par le gouvernement provincial dans la province de Montréal.

1913 Des frères se munissent d’un brevet officiel décerné par le gouvernement provincial dans la province d’Arthabaska.

1917 Sept frères sont détenteurs d’un baccalauréat moderne (sans latin) dans la province de Montréal.

1919 Quelques frères sont détenteur d’un baccalauréat moderne (sans latin) dans la province d’Arthabaska.

1923 Dans la province d’Arthabaska, trois types de programmes sont clairement définis et proposés aux frères :

§ le programme de la congrégation elle-même
§ le programme du gouvernement du Québec
§ le programme d’études universitaires

1925 Le programme de l’École normale est instauré au scolasticat de la Maison Sacré-Cœur de Saint-Hyacinthe. (Province de Montréal)

1928-1929 Des frères suivent les cours du baccalauréat ès arts de l’Université Laval.

1932 Le programme de l’École normale est instauré au scolasticat de notre maison mère d’Arthabaska. (Province d’Arthabaska)


1940 Des frères suivent des cours de licence en lettres, de baccalauréat en pédagogie, de licence en pédagogie à l’Université de Montréal. Quelques-uns suivent également des cours de maîtrise ès arts, de maîtrise en psychologie, de doctorat en littérature canadienne-française (Ph D) à l’Université d’Ottawa.

1952 Des frères sont nommés aux études à temps plein.
Un bureau des études religieuses est mis sur pied.

1954 Des frères sont nommés pour des études en Europe.

Enfin, je note encore que la motivation profonde de l’orientation des études des frères par les responsables a été d’assurer la meilleure préparation à la mission qui leur était confiée auprès des enfants et des jeunes. On cherchait la compétence, la crédibilité et le rendement. De plus, des frères «visionnaires», si on peut dire, ont lutté pour que leurs élèves puissent aller plus loin dans leurs études, mettent en valeur leurs talents, réussissent. Certains frères ont mis leurs efforts pour créer un cours parallèle au traditionnel cours classique qui déboucherait sur l’accès à l’Université. Il y eut aussi des frères ont travaillé à «élargir» la clientèle du cours classique traditionnel, si je peux dire, qui en ont fait la promotion dans nos maisons de formation et dans certaines de nos écoles.

L’une comme l’autre initiative a eu un impact sur les études des frères et leur préparation professionnelle.

Jean-Claude Éthier, S.C.
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[1] L’école élémentaire, suivant en cela le système britannique, est de huit ans en Ontario.
[2] Les frères français qui sont venus au Canada ont gardé un douloureux souvenir des conséquences désastreuses de la loi de dissolution des communautés religieuses en France, en 1903. Ils avaient dû abandonner leur œuvre, leurs institutions. Arrivés au Canada, ils sont demeurés méfiants devant toute intervention de l’État dans leurs affaires. La réticence qu’ils avaient devant certaines relations ou communications officielles avec l’État s’est transmise à certains des premiers frères canadiens. Leur hésitation à se munir de brevets officiels se comprend dans ce contexte. La débrouillardise, l’autodidactisme seront la caractéristique de nos premiers frères.

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