Frère éducateur dans le vent des changements
Ce 24 août 1945, vers 17 heures, nous sommes quarante-sept jeunes de quinze ans[1]© cueillis dans la fleur de l'âge, étendus inertes sur le parquet de la grande allée de la chapelle du Mont-Sacré-Cœur à Granby.
Le prêtre, qui porte l’étole, le surplis blanc tout dentelé par-dessus sa soutane noire, nous asperge d’eau bénite exactement comme il le fait régulièrement aux dépouilles mortelles de chrétiens en partance pour le Grand Voyage. Puis, à coups réguliers d’encensoir, il répand au-dessus de nos momies muettes l’encens fumant qui, s'élevant, nous introduira dans la société des célestes.
Ce rite simule notre mort à ce monde. Il nous confère une nouvelle identité. Par la vertu de la consécration religieuse, de mortels que nous sommes, nous renaîtrons immortels, enfants de la terre des ténèbres, nous deviendrons des fils de lumière, parias et désoeuvrés, errant sur la place publique, nous sommes embauchés, toute compétence reconnue, ouvriers du Seigneur, marqués au sceau de l’identité divine.
Quelques jours avant cette métamorphose, nos têtes sont passées chez un coiffeur improvisé qui nous a appliqué la caractéristique coupe «rasibus» coutumière chez les moines.
Notre habit noir, qui nous couvre de la tête aux pieds, rappellera à tous que nous sommes morts à ce monde. Les quatre rangs du cordon de laine noire qui ceint nos reins, ce sont les vertus cardinales, nos cartes de compétence d’ouvriers de la vigne. Le scapulaire signifiera notre protection céleste et le petit capuchon, bien que réduit pour des considérations pratiques, est une version humanisée des œillères du cheval. Il en assume la fonction : nous voiler les distractions terrestres et indiquer notre intention de garder le cap sur l’infini.
C’est un tribunal ecclésiastique qui répondra de nous. Un supérieur prendra pour nous les engagements appropriés, en déterminera le salaire, le percevra et en disposera pour le plus grand bien de la communauté.
Cette nouvelle identité sacrée, ne fait aucun doute chez nos proches et est reconnue sans problème par la société québécoise des années 40.
Dès le lendemain de la cérémonie de prise d’habit, au parloir, mes frères et sœurs, d’abord médusés et en silence, manifestent pour mon accoutrement et mon statut, une attention et peut-être une envie que je n’avais jamais connues d’eux.
C’est un tribunal ecclésiastique qui répondra de nous. Un supérieur prendra pour nous les engagements appropriés, en déterminera le salaire, le percevra et en disposera pour le plus grand bien de la communauté.
Cette nouvelle identité sacrée, ne fait aucun doute chez nos proches et est reconnue sans problème par la société québécoise des années 40.
Dès le lendemain de la cérémonie de prise d’habit, au parloir, mes frères et sœurs, d’abord médusés et en silence, manifestent pour mon accoutrement et mon statut, une attention et peut-être une envie que je n’avais jamais connues d’eux.
Trois ans plus tard, lors de mes dix jours de visite réglementaire dans ma famille, à St-Zéphirin, je me sentirai chez moi comme un étranger. J'y vois pour la première fois les trois derniers de la famille nés après mon départ du rang St-Alexandre. Je ne parle plus le même langage (je parle de «voiture» alors qu’ils parlent de «char») et le matin au lieu d’aller ‘tirer’ les vaches je vais à la messe…
Je fis pendant ces dix jours le tour de la famille. On était fier de me montrer comme un Saint-Sacrement. Je ne savais quelle conversation tenir devant ces «mononcles» et ces «matantes» qui m’avaient vu en couches et en culotte courte. Devant les cousins et surtout les cousines de mon âge, un malaise indescriptible coupait le contact familier déjà établi entre eux et moi. Une ambiguïté qui me torpillait les élans. Les dix jours écoulés, j’étais heureux de retrouver mon «monde divin».
Vie religieuse à deux volets
La vie religieuse, comme l’Église elle-même, comporte deux dimensions complémentaires intimement reliées. Les communautés sont d’abord et à la fois le lieu et le modèle sur terre de la communion de vie établie entre Dieu et les hommes.
De plus, les congrégations religieuses font aussi partie de la milice de l’’Église qui a la mission d’étendre le Royaume de Dieu sur terre.
La communion de vie
Toutes les communautés religieuses nées depuis le 6e siècle, tant en Orient qu’en Occident, autant les contemplatifs que les actifs ont adopté le cadre de vie défini par la règle de saint Benoît fondateur des Bénédictins ou s'en sont inspiré. [2]
La vie religieuse définie par s. Benoit s’organise autour de deux axes principaux, l’axe vertical de la relation à Dieu et celui horizontal de la relation aux semblables par la pratique de la vie commune. La visée qui tend ces deux axes est unique. Que les moines et la communauté soient les témoins ou les signes vivants du Royaume de Dieu sur terre.
Vie religieuse et vie commune chez les Frères du Sacré-Cœur de 1945 à 1965
Nous les jeunes frères, bénis, aspergés et encensés ce 24 août 1945 étions d’abord engagés à vivre selon ce modèle de vie en Royaume de Dieu.
La prière, la méditation, la messe quotidienne, les lectures spirituelles occupaient environ 4 heures à notre horaire quotidien.
Ces pratiques religieuses ne reposaient pas sur un support théologique très sophistiqué. L’Imitation de Jésus-Christ c’était notre bible. On en lisait un passage après les repas du midi ou du soir. Bruno Vercruysse nous découpait à tous les jours nos sujets de méditation. Nous allions à l’église pour la messe quotidienne à moins qu’un prêtre disponible ne nous la dise dans notre chapelle.
Une récollection de deux ou trois jours occupait une partie des vacances de Noël et une retraite de six jours en silence et avec prédication assurait à chaque année une mise à jour de notre vie spirituelle.
Ces exercices faisaient partie de nos devoirs envers Dieu. Il suffisait de les bien accomplir pour nous sentir en état de grâces à ses yeux.
La vie commune était une obligation inhérente à notre engagement religieux. Malgré des inconvénients occasionnels dus à la variété des âges et des caractères elle nous procurait de grandes satisfactions et resserrait nos liens mutuels. Nos horaires quotidiens, incluant les heures du lever, du coucher et des repas étaient couverts par l’obligation à la vie commune de même que nos loisirs, nos sorties, nos temps d’études et de prière. Notre costume aussi, tout en nous séparant du monde, indiquait notre appartenance à la communauté. Nous en étions fiers.
Cette double obligation de la prière quotidienne et de la vie commune, loin d’être un fardeau, définissait un oasis de paix dans lequel il faisait bon vivre.
La mission apostolique des congrégations religieuses
Les congrégations religieuses de Frères et de Sœurs sont nées au début du 19e siècle. Elles répondaient à un besoin de réajustement de l’action apostolique suite aux profondes transformations sociales générées par la révolution industrielle.
Depuis en effet qu’elle était sortie des catacombes et quelle était apparue sur la scène politique, l’Église avait poursuivi, au nom du Christ et avec les armes de l’autorité et du pouvoir, des visées de conquête.
Tout devait être sous sa juridiction: l’organisation civile des états, les relations entre les peuples, les normes définissant le bien et le mal, les énoncés des vérités de foi comme des vérités scientifiques, les balises des expressions artistiques etc. Située sur le haut de la montagne, l’Église d’alors irradiait de la lumière de son Dieu tout puissant, définissait et imposait les conditions de vie dans son royaume sur la terre.
Avec la révolution industrielle tout change. La démocratie effrite les assises hiérarchiques de l’autorité. La voie de l’épée et des traités ne sert plus l’évangélisation. De plus cette révolution a accouché sur la place publique d’une toute nouvelle classe sociale, la classe ouvrière. Cette masse informe et inculte qui occupe les banlieues des cités, est soumise à des conditions de vie infra-humaines. Elle a un urgent besoin d’éducation et de soins de santé. Ce sera la mission des Frères et des Sœurs membres des congrégations religieuses d’y pourvoir.
Chez les Frères du Sacré-CoeurLa Congrégation des Frères du Sacré-Cœur fut fondée à Lyon en 1821 par le Père André Coindre qui voulait palier à l’état d’abandon dans lequel se trouvaient les jeunes de son milieu.
En 1872, quatre de ces frères ouvrent une école à Arthabaska. En 1945 nous sommes environ 1200 profès, nous dirigeons 102 établissements scolaires au Québec et en Ontario. Nous sommes regroupés en deux provinces communautaires celle d’Arthabaska et celle de St-Hyacinthe.
Cette rapide expansion maintiendra son rythme jusqu’à l’atteinte de son apogée en1965. On compte alors 1520 profès canadiens qui oeuvrent dans plus de 140 établissements scolaires incluant les maisons de formation de la communauté. Les Frères canadiens sont répartis en sept provinces communautaires distinctes dont six ont leur maison-mère en terre québécoise. Les Frères canadiens ont aussi essaimé en Haïti, au Brésil, en Nouvelle Calédonie, au Chili, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Cameroun et aux Philippines… Près de 50,000 élèves bénéficient de leur enseignement. Bref, la communauté a beaucoup de vent dans ses voiles.
Les congrégations religieuses qui font œuvre d’éducation ou d’hospitalisation remplissent leur mission selon des patterns à peu près semblables.
C’est la communauté et non l’individu qui a le mandat et la charge de la mission et qui en répond devant l’Église ou devant l’autorité civile.
On attend des profès une obéissance «ac cadaver» et une disponibilité totale.
Ainsi, c’est le supérieur provincial qui gérait nos engagements comme maîtres d’école et qui en percevait le salaire au nom de tous. Le 15 août de chaque année, nous recevions notre obédience pour la prochaine année scolaire. Sans préavis on pouvait être muté l’année suivante dans un autre établissement. Il fallait préparer nos bagages en conséquence.
En ces temps, comme toutes les cellules de l’Église, foi oblige, les Frères avaient pignon sur rue, soit comme propriétaires de leurs établissements scolaires (collèges) ou comme chargés d’une école publique. Cette école était reconnue comme l’école des Frères, ils en occupaient à peu près tous les postes. L’école portait souvent le nom de la congrégation qui en avait la charge.
Et nous étions en grande demande. Toute la société québécoise nous portait aux nues, c’est du moins l’impression que j’avais alors. Sans nous connaître on nous faisait confiance et on nous supposait toutes les compétences, comme à Dieu lui-même. La plupart du temps nous habitions l’école où nous enseignions. Comme éducateur religieux, nous faisions œuvre d’Église. L’école c’était notre cloître. Un cloître ouvert sur le monde.
Ainsi, les deux pôles de la vie religieuse, la communion de vie (le cloître) et la mission apostolique étaient réunis et formaient un tout au service de la population environnante.
À l’instar des ordres contemplatifs, nous étions par notre costume, par notre vie communautaire, par notre habitation et par nos habitudes de vie, des phares non pas sur la montagne mais sur la place publique. Notre régime de vie témoignait de la vitalité du Royaume de Dieu.
C’est par notre engagement apostolique que nous nous distinguions le plus des moines. Engagé dans l’œuvre de l’éducation chrétienne, notre institut était une cohorte de la milice ecclésiale qui militait à la promotion du Règne de Dieu non plus sur des terres étrangères mais dans le cœur de ces nouveaux pauvres en attente du Messie.
Humanisation et évangélisation faisaient ainsi la paire. L’œuvre avait de l’avenir. Bien éprouvée par le temps, la congrégation était faite pour durer longtemps.
En état d’équilibre
Ce temps de croissance c’était le bon temps. La communauté dite «fraternité» était vraiment ma deuxième famille. Elle était le lieu de notre fierté et la source de nos joies les plus profondes.
La société québécoise était aussi parvenue dans les années 50 à 60 à l’apogée d’un certain équilibre entre le sacré et le profane, entre l’Église et l’État, entre les responsabilités civiles et ecclésiales. Deux têtes d’affiche assuraient cet équilibre : monsieur Maurice Duplessis Premier Ministre du Québec et le Cardinal Paul-Émile Léger. Une solide tradition maintenait chez les Frères un juste équilibre entre le rigoureux régime de vie hérité de s. Benoit et les impératifs de la mission apostolique commandés par la révolution industrielle.
Pourtant il a suffi de quelques années pour que ce bel édifice s’écroule, pour que les institutions séculaires deviennent périmées, pour que les valeurs les mieux ancrées prennent du mou et que les traditions les plus porteuses se déclinent dans l’oubli.
Le déclin
Qui dit apogée dit aussi début du déclin. Le frère Jean-Claude Éthier, S. C. confrère de noviciat et d’études à Rome, publia en 2004 un essai historique fort bien documenté ayant pour titre Les Frères du Sacré-Cœur – Leur apostolat au Canada 1900-2004.**
L’histogramme[3] des effectifs de la communauté publié dans cette étude montre que le déclin fut plus rapide que la fulgurante expansion des années 40. La communauté qui comptait plus de 1500 profès en 1965 n’en comptera que 560 en 1980 et 335 en 2002. Les sept provinces communautaires devront fusionner et seront en 2002 ramenées à la seule province d’Arthabaska érigée en 1912.
Cette rapide diminution des effectifs religieux chez les Frères du Sacré-Cœur et chez toutes les congrégations militantes en milieu d’éducation ou de soins de santé n’est somme toute qu’un épiphénomène, un effet des plus profondes transformations sociales et religieuses qui ont marqué la fin du XXe siècle. Deux icones bien connues regroupent et expliquent ces modifications, Ce sont la Révolution tranquille et le concile Vatican II.
Il n’est pas dans mon propos d’analyser ici ces deux événements historiques sur les congrégations religieuses ni sur les relations entre l’Église et la soni de répertorier leurs effets ciété québécoise en profonde mutation.
Cependant, pour mieux comprendre les tiraillements que ces deux événements ont provoqués chez moi et chez ceux qui les ont vécus, rappelons les principaux vecteurs des changements qu’ils apportent tant dans l’Église que dans la société québécoise au cours des années 60 à 80.
Le double virage
Le concile Vatican II – un virage à 180’
En convoquant le concile Jean XIII a ouvert de toutes nouvelles avenues à l’action pastorale de l’Église et à ses modes de présence au monde.
C’est un virage à 180’ que les Pères conciliaires proposent à la foi catholique.
La foi chrétienne, on le sait, s’articule autour des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption.
Depuis 325 c’est le mystère de la Rédemption qui avait comme programmé la mission de l’Église dans le monde. La mort rassemblait plus que la résurrection, le sacré monopolisait les temps et les espaces des hommes. Le culte célébrait la mort de Jésus en croix pour racheter l’humanité chassée du paradis terrestre par le péché originel vu comme une faute d’insubordination. Le Jugement dernier récompensait les bons et punissait les méchants. Le baptême était la condition d’accès au salut. Le Royaume de Dieu se construisait sur terre à la manière des royaumes terrestres par la force de l’épée ou celle de la prédication. On y entrait en observant un code moral très minutieusement établi.
Après le concile Vatican II les perspectives sont complètement inversées. On est davantage sensible à l’Incarnation de Dieu dans le monde en Jésus et au mystère de sa résurrection.
L’Église est le rassemblement de tous les hommes de bonne volonté.
L’Église militante doit annoncer la Bonne Nouvelle et non plus imposer la soumission des infidèles. Le Baptême n’est plus la condition du salut (hors de l’Église point de salut) mais le signe de l’accueil de Dieu.
Les images de ces changements vaudront plus de mille mots.
On ne célèbre plus à l’écart du peuple le Saint Sacrifice de l’agneau de Dieu immolé sur l’autel, mais l'eucharistie où tous sont invités à partager le Pain de vie. L’autel du sacrifice devient la table de communion, tourné vers Dieu. [4]il fera dorénavant face à la communauté.
Paul VI ne va pas à l’ONU affirmer la juridiction de l’Église sur les nations rassemblées mais comme l’un des leurs, pour apporter sa contribution à l’effort de collectif de paix.
Les religieux abandonnent le costume et les privilèges qui les distinguaient pour mieux épouser les causes collectives de promotion humaine.
Surtout le salut n’est pas à gagner à la sueur de son front. Il est déjà là. On n’a qu’à le célébrer et à s’ "‘énergiser ‘» à sa dynamique.
Bref, on passe du ciel à la terre, du Vendredi-saint à Pâques, de l’Église dominatrice des nations à la servante des pauvres, de la fastueuse lumière sur la montagne à la silencieuse action du levain dans la pâte.
Quels seront pour les religieux du Québec les effets de ces changements de cap?
La révolution tranquille
Pendant que cette révolution ecclésiale s’amorce et que lentement s’installent de nouveaux protocoles de la présence de l’Église dans le monde, partout dans l’hémisphère occidental souffle un vent de libération de tous ordres qui remet en question la société issue des hauts-fourneaux de la révolution industrielle,
Au Québec, malgré son impétuosité, ce mouvement prit le nom de « Révolution tranquille ». Comme l’indiquait son slogan « Maîtres chez nous » cette révolution visait principalement la prise en mains par l’État de ses leviers économiques et culturels. La laïcisation des institutions religieuses était aussi affichée comme en sous-titre sur son étendard. L’État prenait toutes ses responsabilités dans les deux principaux fiefs de l’Église : l’éducation et la santé.
Progressivement l’état québécois catholique devient sur la place publique un état laïc dans son organisation et ses institutions politiques, sociales et culturelles.
Les œuvres caritatives en éducation, en santé et en service social, patiemment montées par les congrégations de Frères et de Sœurs, sont démantelées et imbriquées dans les structures de l’État.
Les effets à court terme de ces révolutions au Québec
La pratique religieuse non forcée revient à sa vérité, l’une des expressions de la foi et non plus la condition du salut.{5]Les églises se vident. De 1960 à 1970 l’assistance à la messe dominicale, malgré la réforme de la liturgie, connaît une chute drastique.
À l’intérieur des communautés, la relève se fit plus rare. Jamais plus on ne reverra chez les Frères du Sacré-Cœur des prises d’habit de 40 à 50 candidats à la vie religieuse. Le recrutement pour la milice de l’Église devient plus difficile et moins nécessaire. L’État prenait la charge des services que l’Église avait assurés depuis les débuts de la colonie.
On prit alors conscience qu’il n’était plus nécessaire d’être religieux pour faire carrière d’éducateur. L’importante saignée des sécularisations,[6] qui débuta un peu avant les années 70, jointe à la diminution de la relève mina les forces vives des communautés religieuses et facilita le transfert de leurs responsabilités aux instances de l’État. On vit plusieurs anciens religieux occuper des postes-clés dans les nouveaux ministères.
Les congrégations de frères et de sœurs durent se délester de leurs institutions les plus prestigieuses devenues caduques. Les religieux demeurés fidèles à leur vocation, déchargés de leurs responsabilités apostoliques institutionnelles, se regroupèrent en plus petites communautés de vie et de partage et durent modifier la forme de leurs engagements apostoliques.
Engouements et résistancesLa convergence de ces deux mouvements remettait en question la place et le rôle des communautés religieuses dans la société québécoise.
Ces vents de renouveau, qui soufflaient en même temps de l’Église et de l’État, suscitèrent, à l’intérieur comme à l’extérieur des communautés, des engouements à l’emporte-pièce et des résistances appuyées sur des valeurs bien ancrées dans de profondes traditions.
Ces tiraillements n’étaient pas que débats de concepts ou étalage d’opinions. Les questionnements étaient présents en chacun et affectaient les projets, les options, les moindres décisions à prendre dans un milieu qui n’était plus balisé ou qui était porteur de tellement de publicités prometteuses qu’on ne savait plus où se nichait le réel ni comment distinguer la proie de l’ombre. Temps d’alouettes au cœur d’un kaléidoscope de miroirs.
Après le concile Vatican II les perspectives sont complètement inversées. On est davantage sensible à l’Incarnation de Dieu dans le monde en Jésus et au mystère de sa résurrection.
L’Église est le rassemblement de tous les hommes de bonne volonté.
L’Église militante doit annoncer la Bonne Nouvelle et non plus imposer la soumission des infidèles. Le Baptême n’est plus la condition du salut (hors de l’Église point de salut) mais le signe de l’accueil de Dieu.
Les images de ces changements vaudront plus de mille mots.
On ne célèbre plus à l’écart du peuple le Saint Sacrifice de l’agneau de Dieu immolé sur l’autel, mais l'eucharistie où tous sont invités à partager le Pain de vie. L’autel du sacrifice devient la table de communion, tourné vers Dieu. [4]il fera dorénavant face à la communauté.
Paul VI ne va pas à l’ONU affirmer la juridiction de l’Église sur les nations rassemblées mais comme l’un des leurs, pour apporter sa contribution à l’effort de collectif de paix.
Les religieux abandonnent le costume et les privilèges qui les distinguaient pour mieux épouser les causes collectives de promotion humaine.
Surtout le salut n’est pas à gagner à la sueur de son front. Il est déjà là. On n’a qu’à le célébrer et à s’ "‘énergiser ‘» à sa dynamique.
Bref, on passe du ciel à la terre, du Vendredi-saint à Pâques, de l’Église dominatrice des nations à la servante des pauvres, de la fastueuse lumière sur la montagne à la silencieuse action du levain dans la pâte.
Quels seront pour les religieux du Québec les effets de ces changements de cap?
La révolution tranquille
Pendant que cette révolution ecclésiale s’amorce et que lentement s’installent de nouveaux protocoles de la présence de l’Église dans le monde, partout dans l’hémisphère occidental souffle un vent de libération de tous ordres qui remet en question la société issue des hauts-fourneaux de la révolution industrielle,
Au Québec, malgré son impétuosité, ce mouvement prit le nom de « Révolution tranquille ». Comme l’indiquait son slogan « Maîtres chez nous » cette révolution visait principalement la prise en mains par l’État de ses leviers économiques et culturels. La laïcisation des institutions religieuses était aussi affichée comme en sous-titre sur son étendard. L’État prenait toutes ses responsabilités dans les deux principaux fiefs de l’Église : l’éducation et la santé.
Progressivement l’état québécois catholique devient sur la place publique un état laïc dans son organisation et ses institutions politiques, sociales et culturelles.
Les œuvres caritatives en éducation, en santé et en service social, patiemment montées par les congrégations de Frères et de Sœurs, sont démantelées et imbriquées dans les structures de l’État.
Les effets à court terme de ces révolutions au Québec
La pratique religieuse non forcée revient à sa vérité, l’une des expressions de la foi et non plus la condition du salut.{5]Les églises se vident. De 1960 à 1970 l’assistance à la messe dominicale, malgré la réforme de la liturgie, connaît une chute drastique.
À l’intérieur des communautés, la relève se fit plus rare. Jamais plus on ne reverra chez les Frères du Sacré-Cœur des prises d’habit de 40 à 50 candidats à la vie religieuse. Le recrutement pour la milice de l’Église devient plus difficile et moins nécessaire. L’État prenait la charge des services que l’Église avait assurés depuis les débuts de la colonie.
On prit alors conscience qu’il n’était plus nécessaire d’être religieux pour faire carrière d’éducateur. L’importante saignée des sécularisations,[6] qui débuta un peu avant les années 70, jointe à la diminution de la relève mina les forces vives des communautés religieuses et facilita le transfert de leurs responsabilités aux instances de l’État. On vit plusieurs anciens religieux occuper des postes-clés dans les nouveaux ministères.
Les congrégations de frères et de sœurs durent se délester de leurs institutions les plus prestigieuses devenues caduques. Les religieux demeurés fidèles à leur vocation, déchargés de leurs responsabilités apostoliques institutionnelles, se regroupèrent en plus petites communautés de vie et de partage et durent modifier la forme de leurs engagements apostoliques.
Engouements et résistancesLa convergence de ces deux mouvements remettait en question la place et le rôle des communautés religieuses dans la société québécoise.
Ces vents de renouveau, qui soufflaient en même temps de l’Église et de l’État, suscitèrent, à l’intérieur comme à l’extérieur des communautés, des engouements à l’emporte-pièce et des résistances appuyées sur des valeurs bien ancrées dans de profondes traditions.
Ces tiraillements n’étaient pas que débats de concepts ou étalage d’opinions. Les questionnements étaient présents en chacun et affectaient les projets, les options, les moindres décisions à prendre dans un milieu qui n’était plus balisé ou qui était porteur de tellement de publicités prometteuses qu’on ne savait plus où se nichait le réel ni comment distinguer la proie de l’ombre. Temps d’alouettes au cœur d’un kaléidoscope de miroirs.
Le défi de Mémoires à l’ultraviolet Volume II
Le volume II de Mémoires à l’ultraviolet[7]. qui a pour champ d’exploration mes vingt-huit ans de vie religieuse au sein de ma deuxième famille, veut relever un triple défi.
D’abord faire voir à travers la trame du quotidien l’intensité de vie qui régnait au sein des communautés de 1943 à 1961. Souvent l’ombre projeté par ces prestigieuses institutions qui faisaient la une de l’époque et la grande variété de leurs productions ont voilé les passions qui les ont créées et ont couvert de silence la vie qui y grouillait.
Et la tourmente venue, ce sera encore la tâche de l’ultraviolet de mettre en évidence l’éventail des émotions, les désillusions, les espérances et les désespérances, les triomphes et les résignations qui ont vibré à l’intérieur de ces matrices de mondes nouveaux qu’ont été les deux révolutions, la tranquille et l’ecclésiale.
Finalement j’essaierai de mettre à jour les motivations profondes et les circonstances qui m’ont amené, à la suite de plusieurs confrères, à quitter cette communauté qui m’est toujours très chère, qui m’a adopté comme son fils et dans laquelle j’ai vécu 28 belles années de ma vie. Les habits et les routes ont changé. Les amours vivants dans les souvenirs restent. Les raconter, c’est donner à leur vie leur éternité.
__________________________________
[1] ) La cérémonie de la prise d’habit ouvrait le noviciat. On comptait dans ce groupe de novices 9 Frères franco-américains de la Province de Nouvelle-Angleterre créée en cette même année. Des 38 novices canadiens (dont 35 env. provenaient du Québec) 29 prononceront leurs premiers vœux en 1946, soit un taux de 76%. Il en restera 27 (71%) aux vœux perpétuels en 1952 et seulement onze de ces novices de 1945 (29%) seront toujours frères à leur jubilé d’or de vie religieuse, célébré en 1996.
[2] Pour en savoir plus sur les Bénédictins cliquez le lien suivant :http://www.educreuse23.ac-limoges.fr/loewy/realisations/Objectif_Moyen_Age/nomrose/B%C3%A9n%C3%A9dictins.htm
[3] Op. cit. Cliquez ici Choisir dans la colonne déroulante de gauche Annexe 6 p, 285
** Cf. aussi le site des Frères du Sacré-Coeur au Canada http://www.fsc-canada.org/
** Cf. aussi le site des Frères du Sacré-Coeur au Canada http://www.fsc-canada.org/
[4] Les somptueux retables qui ornaient l’autel du sacrifice dans les églises érigées aux siècles précédents illustrent bien la place importante que prenait Dieu le Père et sa toute puissance dans la liturggie et dans la foi des chrétiens d'avant concile.
[5] Le Père Liégé dominicain en visite au Québec dans les années 50 parlant de la pratique religieuse des Québécois disait qu’ils « pratiquaient plus haut que leurs moyens ».
[6] L’expression « sécularisation » s’emploie autant pour indiquer le passage des clercs ou des religieux à l’état laïc ou séculier que pour désigner la laïcisation des biens d’Église.